Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UA procèdent-il convenablement en dénonçant le Statut de Rome ?

UNION AFRICAINE – COUR PENALE INTERNATIONALE

 Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UA procèdent-il convenablement en dénonçant le Statut de Rome ?

La procédure de retrait étant prévu dans le Statut de Rome, l’UA peut légalement se retirer de la Cour pénale internationale (I) ; elle perd cependant en crédibilité (II), dès lors que la première juridiction africaine à vocation continentale n’est ouverte aux citoyens qu’à la condition d’une autorisation sine qua non des Etats.

 I – Un projet de retrait au fondement juridique incontestable

Le fondement juridique du retrait des pays de l’UA se trouve dans le statut de Rome (=> article 127).

Tout Etat conserve la possibilité de se retirer de la Cour pénale internationale, par notification au Secrétaire général de l’Organisation des Nations-Unies.

Le retrait ne peut être immédiat : il prend effet un an après sa notification, et peut s’étendre au delà d’une année. 

Les obligations de l’Etat au moment de la dénonciation demeurent maintenues. Autrement dit, l’Etat doit s’acquitter de ses dernières obligations, notamment en matière financière.

L’Etat doit continuer sa coopération en ce qui concerne les enquêtes et procédures pénales en cours avant la date de la notification de sa décision de retrait. Il en est de même pour la poursuite de l’examen des affaires avant la prise d’effet de la décision de retrait.

Par exemple, si la Guinée souhaitait se retirer de la Cour pénale internationale, elle ne saurait y procéder sans mener à son terme les poursuites relatives aux tueries du stade du 28 septembre en 2009 : la Guinée ayant décidé de traiter de l’affaire, la Cour pénale internationale ne peut intervenir pour le moment (principe de subsidiarité). La Cour continue à se renseigner sur l’état d’avancement des procédures, et accorde son assistance en cas de besoin (principe de complémentarité).

A son tour, la Côte-d’Ivoire ne pourrait dénoncer le statut de Rome sans que l’intégralité des affaires en cours n’ait été jugée par les autorités ivoiriennes et/ou la Cour pénale internationale, à commencer par le procès en cours de ancien président de la République, Monsieur Laurent Gbagbo et son ancien ministre, Charles Blé Goudé.

La légitimation du retrait des Etats de l’UA du statut de Rome passe par un certain nombre d’arguments. Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UA s’estiment persécutés par la Cour pénale internationale. Depuis son entrée en vigueur en juillet 2002, la CPI n’aurait poursuivi que des Africains. Ainsi ce ne sont pas moins de 29 africains qui auraient été dans son viseur.

Parmi les personnes concernées, il faut citer deux présidents en exercice, que sont Omar El-Béchir qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt international, et Uhuru Kenyata, dont les charges et poursuites ont été abandonnées à une date récente. L’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo fait parti de ces Africains jugés par la Cour pénale internationale.

De telles poursuites réduiraient la souveraineté des chefs d’Etat et de gouvernement.

Cependant, le droit international public fonctionne sur le principe du volontarisme étatique, consacré dès 1927 par la Cour permanente de justice internationale (actuelle CIJ), dans l’affaire du Lotus :  » Les règles de droit liant les Etats procèdent donc de la volonté de ceux-ci, volonté manifestée dans des conventions ou dans des usages acceptés généralement comme consacrant des principes de droit et établis en vue de régler la coexistence de ces communautés indépendantes ou en vue de la poursuite de buts communs. Les limitations de l’indépendance des Etats ne se présument donc pas ».

La convention de Genève sur le droit des traités (1969) consacre à son tour le principe du consentement de l’Etat à être lié par une convention internationale.

Nos Etats disposent de l’indépendance et de la souveraineté pour décider de leur engagement à être liés dans les conventions internationales. En réalité, plutôt qu’une persécution de la Cour pénale internationale, il faut considérer que la plupart des Etats africains ne prennent pas réellement les dispositions propres à rendre effectifs sur leurs territoires, les interdictions de crimes internationaux.

La (simple) procédure de ratification des traités ne suffit pas : non seulement les Etats doivent adopter, en interne, des dispositions pratiques et normatives, mais surtout amorcer un processus de changement de mentalité pour bannir tout crime contre l’humanité, crime de guerre et crime de génocide (sans oublier l’agression au sens du droit international).

La feuille de route proposée par le président kényan à ses homologues africains offre le contraste d’une Afrique des citoyens ignorés du concert des civilisations. Comme si quelque part, il était écrit que les droits de l’Homme ne peuvent être admis qu’en dehors de nos frontières.

Comment peut-on adhérer à tous les instruments internationaux de protection des droits de l’Homme (et du droit humanitaire) en dehors de l’Afrique, pour ensuite les verrouiller sur le plan interne en Afrique ? L’affaire Yogogombaye devant la Cour africaine des droits de l’Homme offre l’exemple éloquent d’une Afrique à la crédibilité internationale entamée.

II – Une crédibilité internationale africaine entamée

Le cadre juridique des modalités de saisine de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) couvre un champ assez vaste. Pour allez droit au but, la CADHP ne peut être saisie par les individus qu’à la  condition que l’Etat défendeur ait déposé une déclaration d’acceptation de sa compétence. Rares sont les Etats africains parmi les 54 de l’UA à avoir fait cette déclaration.

La procédure pour savoir quels sont les Etats ayant déposé ces instruments de déclaration de compétence est relativement lente. Plutôt qu’un simple document publié sur le site de la Cour ou sur celui de l’Union africaine, la procédure relève du parcours de combattant.

De telle sorte que l’individu n’entre officiellement en possession de cette information que s’il procède effectivement à la formation d’une requête introductive d’instance. En mars 2013, seulement six pays de l’UA avaient fait une déclaration d’acceptation de la compétence de la CADHP. Ces pays sont le Burkina Faso, le Ghana, le Malawi, le Mali, le Rwanda, la Côte d’Ivoire et  la Tanzanie.

Il s’agit pourtant de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ; ce que l’un de ses juges et vice président de la Cour, ancien secrétaire de la Cour internationale de justice, Fatsah OUGUERGOUZ, qualifie de premier organe judiciaire africain à vocation continentale.

A titre illustratif, nous pouvons citer la toute première affaire traitée par la Cour, intitulée affaire Yogogombaye, ayant opposé Michelot Yogogombaye à la République du Sénégal. Le Sieur Yogogombaye demandait à la Cour de procéder au retrait de la procédure engagée par le Sénégal, en vue d’inculper, juger et condamner Hissène HABRE, ex-chef d’Etat tchadien réfugié à Dakar.

Cette requête n’avait pu être jugée au fond, et donc la Cour n’a pas eu à se prononcer sur une telle demande. En effet, la Sénégal n’avait déposé aucune déclaration d’acceptation relative à la compétence de la Cour : « En conséquence, la Cour en conclut que le Sénégal n’a pas accepté la compétence de la Cour pour connaitre sur cette base de requêtes dirigées contre lui émanant directement d’individus ou d’organisation non gouvernementales. La Cour n’a par suite pas compétence pour connaitre de la requête ».

La possibilité de l’existence d’un forum prorogatum avait également été écartée par la Cour : rien n’indiquait dans le comportement du Sénégal que le pays avait accepté la compétence de la Cour pour cette affaire.

La plupart des Etats de l’UA font obstacle à l’accession directe des citoyens à la compétence de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Sans l’acceptation de l’Etat, aucun citoyen ne peut saisir la Cour (même après épuisement des voies de recours en interne).

Cette situation est autant plus regrettable que la compétence de la Cour est définie en des termes généraux, pour couvrir un vaste champ de compétence matérielle : la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples, ainsi que tout instrument du droit international relatif aux droits de l’Homme, ratifié  par l’Etat membre concerné, parmi lesquels on peut compter les 2 Pactes internationaux de protection des droits de l’Homme (1966) sous l’égide de l’ONU.

Les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UA devraient saisir l’occasion pour permettre enfin à leurs concitoyens, de saisir une juridiction africaine à vocation internationale, au diapason de la CEDH, la CADH … Plutôt que d’améliorer et d’élargir les compétences de la CADHP, ils se sont embarqués dans un long processus de fusion entre la CADHP et la Cour de justice de l’UA, pour créer la Cour Africaine de Justice et des Droits de l’Homme (CAJDH).

Encore faudrait-il que les citoyens puissent rapidement saisir cette Cour.

Avant tout retrait de la CPI, les chefs d’Etat et de gouvernement de l’UA devraient, in limine litis, augmenter les mécanismes administratifs et juridictionnels de protection des droits humains sur le contient africain. Plus de droits effectifs en interne : s’engager beaucoup plus sur le continent africain, et traduire les engagements en obligations positives (actes concrets) sur le territoire de chacun des Etats africains.

Ce sont là les garanties d’une meilleure administration de la justice au niveau continental, gages d’une crédibilité internationale retrouvée.

Mohamed B. CAMARA

Juriste, droit international public, droits de l’Homme

Mail : moed.camara@gmail.com

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PAR CONAKRYLEMAG.COM

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