ATTENTION, LA COUPE SE REMPLIT DANGEREUSEMENT intégrale

ATTENTION, LA COUPE SE REMPLIT DANGEREUSEMENT

Desmond Tutu a dit : « Si tu es neutre en situation d’injustice, alors tu as choisi le côté de l’oppresseur ».

Je ne peux pas être neutre. Je ne veux pas être neutre. D’autant plus que je suis victime. Victime d’un régime corrompu et injuste. Il est temps de sortir du politiquement correct. Il est temps d’appeler le chien « Tout passe » et « Médor ». Il est temps de prendre le risque de se faire descendre, de se faire cracher dessus. Peut-être même par ceux qui disent m’admirer et me respecter. Il y a longtemps que la réalité grimace ses foutaises et que nous nous en détournons. Donnez-moi une seconde, on m’appelle. Pardon, vous êtes qui ?
« Nous sommes : Diallo Djakariaou, Diallo Amadou Diouldé, Diallo Mamadou Yaya, Barry Mamadou Bhoye, Bah Mamadou Lamine, Bah Fodé Mamoudou, Diallo Alghassimou, Bah Mamadou Djan, Sow Ibrahima, Diallo Thierno Soufiane, Diallo Ibrahima, Barry Mamadou
Djouldé, Bah Amadou Tidjane, Barry Alpha Amadou, Diallo Souleymane Chérif, Bah Amadou Téla, Sow Abdoulaye, Bah Thierno Abdoul, Touré Albert Fara, Diawné Mamadou. Et nos ombres se nomment : mort par balle dans le dos, abattu d’une balle dans le thorax, abattu d’une balle dans la tête, mort par bastonnade, mort par poignard, rupture de l’artère radiale, éviscération par balle… »

Ils l’ont dit. Ce n’est pas moi qui l’ai dit. Et vous, vous dites que je dis ce que je dis parce que je suis Peul. Je ne l’ai pas choisi. Je le suis. Un point c’est tout. Je n’ai pas à en être fier. Puisque je n’ai rien fait pour le devenir. Et vous professez que je dis ce que je dis parce que je suis de l’UFDG. Et je dis que je l’assume. Et que là par contre j’en suis fier. Parce que je l’ai choisi. Parce que j’ai fait ce qu’il fallait pour l’être.

Et vous grommelez que je ne devrais pas dire ce que je dis parce que je tomberais dans votre estime, que cela n’est pas digne de « l’intellectuel » que je suis. Et moi je réponds que j’emmerde l’intellectuel qui n’assume pas ses responsabilités.

Parce que c’est sous les yeux des intellectuels de ce pays qu’un respectable homme a affirmé que les peuls ont déjà le pouvoir économique, qu’ils devraient s’en contenter et laisser le pouvoir politique aux autres. C’est sous les yeux des intellectuels qu’un leader a insinué qu’on devrait le soutenir pour avoir le pouvoir, parce que les Guinéens ne sont pas prêts à accepter un Peul comme Président de la République. C’est dans le silence des intellectuels qu’une certaine théorie de trois contre un s’est diffusée dans la cité.

C’est là, à la barde des intellectuels qu’un imam et un kountigui se sont donnés le droit de dire à un citoyen qu’il ne peut être maire d’une ville, parce qu’il est Peul. C’est à visage découvert qu’on a chassé des citoyens d’une région en les menaçant de rentrer chez eux au Foutah… Et je dénonce cette stigmatisation, cette exclusion. Parce que je suis journaliste. Je suis artiste. Je suis citoyen Guinéen… Pardon, je reviens. On m’appelle encore. Merde ! Quoi encore ?

« Excusez-moi de vous déranger, monsieur. Je suis Bah Mamadou Aliou. Eux c’est : Diallo Hasmiou, Diallo Amadou Oury, Diallo Boubacar, Sow Thierno Bella, Barry Ousmane, Diallo Mamadou Lamarana, Diallo Amadou Korka, Bah Mamadou Bailo, Barry Alpha Ousmane, Diallo Abdoul Gadiri, Diallo Alpha Ibrahima, Sow Alsény, Sylla Alhassane, Diallo Mamadou Adama, Barry Abdoul Bandiougou, Diallo Amadou Touppé, Diallo Amadou Djouldé, Barry Mamadou Oury. Nous aussi nos ombres errent. Elles ont des fils accrochés aux chevilles qui s’appellent : corps abattus par balle dans la tête, crépitement dans fémur, mort par bastonnade, par arme blanche… ».

Vous souvenez-vous de cette rue qui grouille de femmes en colère ? Le macadam qui gronde de l’ivresse du diable. Les jeunes qui lèchent l’asphalte du feu des pneus brûlés. La ville qui siffle d’injures contre le locataire du palais présidentiel.

Les portraits du chef encrassés du crachat rebelle de la révolte. L’intimité de la mère du patron qui fait les frais des reines enragées. Elles veulent en découdre. Elles veulent en finir. Vous rappelez-vous des larbins qui pointent du nez. Pour négocier. Pour parlementer. Pour demander pardon. Pour s’aplatir.

Pour pleurnicher. Pour dénuder le peu de fierté qu’ils dissimulent dans leur boubou infecté du sang des ombres qui réclament justice sur l’axe de la mort. Là-bas, là où sur l’axe flagellé, déjeuner et dîner exhalent le fumet du gaz lacrymogène. Mais c’est une piqûre qui ne suffit pas. On ne mérite pas l’indulgence d’une dispersion civilisée.

Là-bas, là où les balles sifflent, soufflent, pissent du feu des munitions perdues. Balles perdues qui trouvent quand même ses cibles. Les balles qui explosent une tête. Les ballent qui éventrent une poitrine. Les balles qui sectionnent une artère fémorale. Pourtant, elles sont perdues, ces balles. On dézingue et on fume une clope.

La danse du diable en pleine République. Les concessions sont violées. Les boutiques sont pillées. Des gosses sont emprisonnés. Les âmes tombent, s’amoncellent. La montagne d’odeurs, de cadavres faisandés, monte au ciel pour quémander une once de pitié du diable, à défaut d’avoir eu celui de Dieu. Lui, il a foutu le camp, le traître. Il s’est barré le jour où Alpha Condé l’a dribblé et a volé notre destin… Faites chier, vous êtes qui bordel de merde ?

« Nous ? Nous, on est : Barry Aladji Salmana, Diallo Amadou Oury, Diallo Amadou Korka, Bah Souleymane, Diallo Amadou Oury, Sow Ibrahima, Bah Amadou Téla, Oumar Bella Barry, Diallo Mamadou Baillo, Thierno Sadou Diallo…»

C’est bon, ça suffit ! Je sais. Ames subtilisées dans le ricanement caverneux d’une balle, dans le sourire grinçant d’une lame, dans les léchouilles baveuses d’un gourdin qui palpe du cuir, qui trace un sillon ensanglanté sur la tête d’un gamin. Et ils sont quatre-vingt seize désormais. Tous fauchés à la fleur de l’âge. Vies ôtées.

Handicapés à vie. Gamins jetés dans les bras de la Méditerranée. Boutiques éventrées, calcinées. Chaque nouvelle injustice en appelle à un peu d’humanité, afin que s’arrête l’impunité. Silence et indifférence bruissent. A croire que ce qui meurt de ce côté de la République n’est pas humain, n’est pas citoyen de ce pays. Un peu d’humanité, rien qu’un peu de solidarité, à défaut de sécurité, quémande-t-on.

Eux ne méritent pas la compassion d’Alpha Condé. Ses condoléances ne s’offrent pas à tout le monde. Un mort n’est pas un mort. Un Guinéen n’est pas un Guinéen. Parce qu’on se souvient que la seule fois où le Président de la République s’est déplacé pour des condoléances, c’était dans la famille d’un certain Souleymane Diakité, tué lors de la grève des enseignants. Allez comprendre pourquoi c’est une seule famille de l’axe qui eut le bonheur malheureux de voir débarquer l’armada de fama. Saifoulaye Diallo se moque sûrement des autres défunts pour avoir eu ce peu d’égard.

Qu’on arrête de mentir. Les violences qui s’abattent sur une partie de la communauté nationale ne sont pas forcément politiques. La politique ne peut se servir de l’ethnie pour asseoir sa dictature que si elle rencontre une prédisposition, un fond, un humus dont elle peut se nourrir. On ne peut manipuler à partir du néant.

Toute manipulation se sert d’un fond latent. Elle se construit et se renforce sur une base consciente ou inconsciente de l’objet de son ambition. Il ne s’agit pas d’un conflit entre Soussous et Peuls à Kindia. Comme il ne s’agissait pas d’un conflit entre Malinkés et Peuls à Kouroussa et à Siguiri. Il s’agit par contre de la haine de certains Guinéens, à un moment précis, qui se servent de la politique pour casser du Peul.

Lorsqu’à Kindia les forces de l’ordre tabassent des Guinéens, que des loubards brûlent maisons et boutiques, ni les uns ni les autres ne disent : « vous les militants de l’opposition ou de l’UFDG… » Ils ânonnent : « vous les Peuls, rentrez chez vous, à Labé ». Ceci est un fait.

On peut tenter toutes les diversions, fabriquer tous les discours pour enjoliver, le fait est que plus de quatre-vingt-dix des quatre-vingt-seize jeunes abattus pendant les manifestations de l’opposition sont des citoyens issus de la même communauté. Le fait est que les maisons et les magasins vandalisés appartiennent quasiment tous à des Guinées issus de cette communauté. Le fait est qu’une manifestation à Bambéto se règle à balles réelles, pendant que sur l’autoroute et à Kaloum on choisit la voie de la négociation.

Et on me parlera de victimisation. Et je répondrais que dans « victimisation » il y a « victime ». Et on me dira que ce n’est pas la seule communauté qui a subi des violences. Et je rétorquerais que ce n’est pas parce qu’une communauté a subi qu’une autre doit absolument subir.

Parce que ce n’est pas un match où chacun doit prendre un coup de sabot, à tour de rôle, pour comparer nos bobos. Donc, si hier les Malinkés en ont bavé, il faut forcément qu’aujourd’hui les Peuls en bavent, que demain les Soussous prennent leur part, qu’après-demain les forestiers reçoivent leur lot ? Comme des gamins, après on va jouer à mesurer « qui a la plus grosse » ?

Ce n’est pas en taisant la réalité qu’on arrêtera ces injustices. Chaque fois qu’on renverra dos-à-dos victimes et bourreaux, qu’on dira que chacun a sa part de responsabilité, on fournit un alibi aux assassins et aux pilleurs. Lorsque deux personnes se battent, on contraint d’abord celui qui est plus fort et qui donne les coups à arrêter.

Ensuite, on tentera de situer les responsabilités. Si je devais être cynique, j’irais jusqu’à dire que les meurtres et les pillages sont acceptables. Ce qui est encore plus intolérable, c’est le manque de justice de l’État et l’indifférence complice de ceux qui prétendent être nos élites. Journalistes, artistes, activistes de la société, enseignants, intellectuels de tout acabit, chacun joue l’hypocrite carte de la neutralité, la lâche rengaine de l’objectivité, pour protéger sa fichue réputation d’humanoïde prétendument impartial.

Il faut qu’on arrête de se donner bonne conscience et de croire qu’on est plus intelligent que tout le monde. Je le répète : une manipulation ne fonctionne que parce qu’elle se sert d’un résidu inconscient de l’objet de la manipulation. Si les jeunes de Bambéto ne voyaient pas leurs frères trucidés avant, pendant et après les manifestations ;

s’ils n’assistaient pas, impuissants, à la violation de leurs domiciles et à la sempiternelle humiliation de leurs parents ; si leurs rapports à l’Etat n’étaient pas faits que de violence et de répression, peut-être qu’aucune manipulation d’un quelconque parti politique n’aurait pas réussi à les mettre systématiquement dans la rue.

À force de crier des pleurs inaudibles, ils ont inventé leur moyen d’expression et de résistance : le refuge identitaire et la violence. Leurs attitudes, sont, à mon humble avis, conditionnées en grande partie par le mépris et les injustices qu’ils subissent. Et cette révolte est d’autant plus exacerbée qu’ils savent qu’ils n’ont d’autre recours que de tenter de répondre coup pour coup.

Même si les coups ne sont pas du même calibre.
En 2011, quand je réalisais le documentaire « L’Axe de la Répression », je ne me doutais pas que sept ans après les plaintes et les complaintes continueraient à être les mêmes. À l’époque, j’ai frôlé la prison pour avoir eu l’outrecuidance de tendre le micro à des victimes de la barbarie de nos forces de l’ordre. Dans ce film, les témoignages rapportaient déjà des injures, à caractère ethnique, proférées par les forces de l’ordre et des voisins.

Qu’on se le dise bien à face : il y a une haine, une méfiance (si on veut aseptiser), une suspicion manifeste de certains de nos compatriotes à l’égard de certains de nos concitoyens. Les discours d’un de ceux qui orchestrent la brutalité à Kindia ne souffrent d’aucune ambiguïté quant à leur caractère ethnique. Par exemple, il dit comprendre les positions d’Aboubacar Diallo sur les GG, parce que celui-ci serait Peul.

Alors que le confrère n’a de Peul que son patronyme. Mais, cette prétendue appartenance suffit pour le suspecter de partisannerie. C’est sur cette animosité, latente ou manifeste, dissimulée et de plus en plus ouverte, que le clan Alpha Condé bâtit toute sa stratégie politique. Ceux qui disent que c’est un problème politique se voilent la face. On a réussi tellement à draper cette stigmatisation ciblée de contorsions hypocrites que ceux qui sont censées la dénoncer regardent désormais la réalité avec les mêmes lunettes que les censeurs.

Il y a quelques années, un jeune chanteur m’a demandé de lui donner quelques noms de personnes assassinées sous le règne d’Alpha Condé. Au moment où j’allais lui citer quelques noms, il s’est empressé de me préciser, avec un brin d’humour: « grand, tu mélanges un peu, s’il te plaît, avec des noms qui ne sont pas peuls ».

Voilà où on en est. Alors que la seule reconnaissance des blessures infligées mettrait un peu de baume au cœur de ceux qui sont affligées. Mais Alpha Condé et ses sbires et ses complices auront réussi le tour de force d’une omerta sur des assassinats dont la liste macabre n’a cessé de s’étoffer depuis huit ans.

Mesdames et messieurs, un peu d’humanité et de responsabilité n’ont jamais tué personne !

PAR CONAKRYLEMAG.COM

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