Boké : quand les religieux bénissent Doumbouya, la foi devient propagande d’État

Ils ont osé. Oui, ils l’ont dit : « C’est Dieu qui nous l’a envoyé ». Non, il ne s’agit pas d’un prophète. Ni d’un sauveur. Ni même d’un homme de paix. Il s’agit bien de Mamadi Doumbouya, le chef de la junte, adoubé cette semaine par les religieux de Boké, dans une scène surréaliste de fusion entre le sacré et le dictatorial.

Ces hommes de Dieu, censés porter la vérité et la justice divine, ont décidé de faire alliance avec le glaive. En bénissant le CNRD, ils ne se contentent pas d’offrir leur prière : ils livrent leur caution morale à un régime de répression, en travestissant la foi au profit d’un pouvoir illégitime.

« Dieu nous l’a envoyé » : théologie du mensonge

Que signifie exactement cette formule ? Que le putsch du 5 septembre 2021 était une révélation divine ? Que les arrestations arbitraires, les tortures dénoncées, les opposants emprisonnés, les libertés suspendues… tout cela serait volonté céleste ?

Si c’est Dieu qui a envoyé Doumbouya, alors Dieu aime les baïonnettes, les censures, les dissolutions de partis et les procès truqués. Quelle version du divin prêchent donc ces religieux ? Un Dieu de matraque, un Dieu de silence, un Dieu à la solde du colonel ?

En vérité, ce n’est pas la foi qui s’exprime à Boké. C’est la peur. L’opportunisme. La soumission.

Les religieux : nouveaux griots du pouvoir ?

Historiquement, les leaders religieux en Guinée ont joué un rôle de contre-pouvoir. Porteurs de paix, médiateurs, remparts contre l’arbitraire. Mais ce temps semble révolu. Désormais, certains d’entre eux se muent en chantres du régime, troquant leur bâton spirituel contre le parapluie politique.

Ce soutien béat au CNRD à Boké n’est pas un acte de foi : c’est un acte de collaboration. Une manœuvre honteuse pour s’assurer des faveurs, des mosquées rénovées, des véhicules 4×4, des per diem pour les campagnes de propagande. La religion n’est plus la voix des sans-voix. Elle devient l’écho des puissants.

Et le peuple dans tout ça ?

Pendant que les religieux bénissent le CNRD à Boké, les populations de la région vivent dans l’abandon. Routes défoncées. Services publics fantômes. Exploitation minière sauvage. Pauvreté endémique. Écoles désertes. Hôpitaux désespérants.

Mais là encore, pas un mot. Ni prière pour les souffrants, ni bénédiction pour les opprimés. La seule prière qui compte, c’est celle qui caresse le pouvoir dans le sens du képi.

Religion d’État, État sans morale

Ce qui s’est passé à Boké est symptomatique d’un régime qui cherche désespérément des appuis symboliques pour masquer son illégitimité. Après avoir muselé les politiques, bridé les médias, et neutralisé les syndicats, le CNRD s’attaque désormais à l’espace spirituel.

Et les religieux, au lieu de résister, ouvrent les bras. Pas tous, heureusement. Mais ceux qui parlent à Boké parlent fort, parlent faux, et parlent pour leurs intérêts.

À Boké, les religieux ont bénis un homme. Mais ils ont maudit la vérité. Car un pouvoir qui a besoin de l’onction des imams pour exister, c’est un pouvoir en chute libre. Et une foi qui justifie l’injustice, ce n’est plus une foi. C’est une trahison.