De toute évidence, le débat sur la falsification de la nouvelle constitution est loin d’être clos. Lundi, le Conseil de l’Association du barreau de Guinée a prononcé un discours lors d’une conférence de presse. Dans le document ci-dessus, l’Ordre des Avocats a regretté le délit juridique qui a conduit au démembrement du projet par ce référendum et a demandé le retrait du faux document qui était à tort qualifié de « nouvelle constitution ».
Communiqué du conseil de l’ordre des avocats de Guinée
Le Conseil de l’Ordre des Avocats de Guinée a tenu ce vendredi 29 Mai 2020 une réunion extraordinaire pour examiner la situation de l’altération frauduleuse du projet de constitution soumis au référendum du 22 Mars 2020.
Depuis plus d’un an, des partis politiques et des organisations de la société civile se sont investis pour empêcher la tenue du référendum en vue de l’adoption d’une nouvelle Constitution.
Malgré la multiplication des manifestations de rues réprimées dans le sang, le gouvernement a maintenu sa ferme volonté de doter le pays d’une nouvelle Constitution.
Dans la foulée, des acteurs politiques et de la société civile opposés à l’idée de l’adoption d’une nouvelle Constitution ont été violentés, arrêtés, emprisonnés, et au pire des cas, tués à l’occasion des manifestations.
Courant janvier 2020, soit deux mois avant le référendum, le Ministre de la Justice, Garde des sceaux, a curieusement publié au journal officiel de la République le projet de constitution qu’il a soigneusement cacheté et paraphé. C’est donc ce document qui a été largement diffusé et vulgarisé par les partisans de la nouvelle constitution.
Après plusieurs reports, le gouvernement a fini par organiser, le 22 Mars 2020, le double scrutin législatif et référendaire. Cet événement qui a été émaillé par des incidents majeurs a provoqué des dizaines de morts, des blessés graves, des dégâts matériels importants notamment des destructions d’édifices privés et publics.
Après la proclamation de la victoire du « OUI »par la CENI suivie de l’arrêt N° AE 007 du 03 Avril 2020 de la Cour constitutionnelle, le Président de la République a, par décret D/2020/073/PRG/SGG du 06 Avril 2020, promulgué la Constitution soumise au référendum constitutionnel du 22 Mars 2020.
Contre toute attente, le 14 Avril 2020, date de sa publication au Journal officiel de la République, le Barreau de Guinée a été surpris de constater la publication d’une « constitution » différente du projet soumis à la consultation populaire du 22 Mars 2020.
En effet, de 157 articles le projet de constitution s’est retrouvé amputé d’un article après la publication au journal officiel de la République.
Les articles 13, 17, 31 alinéa 2, 37 alinéa 3, 39, 42, 43 alinéas 2 et 3, 47 alinéa 1, 52 alinéa 3, 68 alinéa 1, 71, 76 ; 77, 83, 84, 90, 106, 107 alinéa 3, 119 alinéas 4 et 5, 120 et 132 ont été substantiellement modifiés ou substitués.
Entre autres, la candidature indépendante consacrée à l’article 42 du projet a été biffée au profit d’une candidature exclusivement présentée par un parti politique et parrainée par des électeurs.
Au niveau de l’article 64 alinéa 4, le contrôle de la déclaration des biens des membres du Gouvernement est passé de la Cour des Comptes à la Cour Constitutionnelle.
A l’article 106 relatifs à la composition de la Cour constitutionnelle, les falsificateurs du texte suprême de la République ont substitué l’Association des Magistrats de Guinée par le Conseil Supérieur de la Magistrature dans le cadre de la désignation des deux magistrats qui doivent siéger à la Cour constitutionnelle.
Il en est de même pour le Conseil de l’Ordre qui doit désormais se contenter de « proposer »un Avocat en lieu et place de la « désignation » de l’Avocat qui devra siéger au sein de cette juridiction.
De toute évidence, le texte soumis au référendum a été frauduleusement altéré et vidé de sa substance. Des individus, sans qualité, ni droit, se sont donnés le plaisir et le luxe de travestir la volonté du peuple qui s’est exprimé dans les urnes le 22 Mars 2020.
Ce comportement inédit est constitutif de l’infraction de faux en écriture publique, prévue et punie aux articles 585 et suivants du Code pénal, et porte gravement atteinte aux principes essentiels de la démocratie, à l’Etat de Droit et à l’Ordre constitutionnel.
En conséquence,le Barreauprend acte de l’arrêt N° AE 007 du 03 Avril 2020 de la Cour constitutionnelle portant proclamation des résultats définitifs du référendum du 22 Mars 2020.
Le Barreaudéplore, cependant, cette délinquance juridique qui s’est traduite par la mutilation du projet issu de ce référendum.
Le Barreau annonce la mise en place d’une commission devant réfléchir sur les actions à entreprendre.
Le Barreauexige le retrait immédiat et sans délais des exemplaires vendus ou non du document faux qu’on appelle à tort « nouvelle constitution ».
Le Barreau de Guinée invite, en fin, la Cour Constitutionnelle, gardienne de la Constitution, à prendre ses responsabilités pour le rétablissement de l’Ordre constitutionnel, le respect de l’Etat de Droit et l’observation des principes essentiels de la démocratie.
Conakry le 1erJuin 2020
LE BATONNIER
Djibril KOUYATE
— conakrylemag