En tournée dans les universités de la capitale, le ministre Gassama Diaby vient d’exposer sur le thème « la question des droits de l’Homme dans une société en transition démocratique » à Kofi Annan. Et comme à son habitude, Gassama Diaby a parlé de tout sans détour. Surtout des problèmes qui assaillent le mécanisme politique de démocratisation en Guinée.
Parmi lesquels, il y a la sensible réalité de la « communautarisation » et la violence du jeu politique.
Avec ce thème, et devant des étudiants qui vivent dans un contexte de transition démocratique couplé à la construction d’un État de droit, le ministre Diaby Gassama a voulu faire d’une pierre deux coups. C’est-à-dire sensibiliser des individus « pris en otage par leurs familles ou leurs ethnies, et par des discours politiques dogmatiques et formatés »
aux valeurs démocratiques, et combattre l’incapacité de la puissance publique à garantir le respect des droits de l’Homme et la justice en Guinée, ainsi que le jeu politique d’une opposition incapable de s’inscrire dans une logique de proposition de réformes politiques et institutionnelles audacieuses pour contrer les principaux défauts de notre processus de démocratisation.
« Chacun des acteurs se joue des travers du système et de son dysfonctionnement pour battre sa carte, au détriment de l’intérêt général et d’une réelle démocratisation « , a lancé le ministre d’entrée de jeu.
« Notre passé politique et son lourd héritage négatif a comme par magie disparu sans inventaire ; nos facteurs socioculturels handicapants sont mystérieusement absents du débat politique ; l’idéal d’une puissance publique neutre et impartiale apparaît de plus en plus comme un détail…
Nos hommes politiques sont démocrates à Conakry et dans les médias…et culturalistes dans le pays profond… », poursuivra Gassama.
Mais quel est le rapport entre les droits de l’Homme et la politique ? Le ministre des droits de l’Homme estime que les droits de l’Homme ne peuvent être une réalité dans une société qu’à condition que l’Etat soit l’incarnation normative et fonctionnelle d’une légitimité démocratique fondée sur le droit et la garantie d’une bonne justice.
À cet égard, pour le ministre, si les droits de l’Homme sont naturels et s’imposent à l’Etat parce qu’ils existent avant l’Etat, » ils ont besoin des bras et des instruments de la puissance publique pour leur existence et leur jouissance effective ».
Cela suppose pour le ministre » que des conditions politiques préalables soient créées pour favoriser l’existence d’un environnement démocratique le seul à même de garantir la jouissance réelle de ces droits et libertés inhérents à la personne humaine, du simple fait de son humanité ».
Sauf qu’en Guinée, déplore Gassama Diaby, ces droits n’ont jamais été respectés depuis l’indépendance du pays. A cause d’une histoire politique totalitaire et d’un ensemble culturel handicapant , comme la violence d’Etat, une culture sociale a-démocratique, des obsessions identitaires polarisées, un système politique ethnicisé, une élite démissionnaire ou complice passive ou active de nos travers sociopolitiques, etc…
À qui la faute ? À l’État et aux gouvernants en premier lieu, depuis l’indépendance jusqu’à nos jours, aux responsables politiques qui passent leur temps à piéger un État depuis fragile, mais aussi aux individus, aux groupes d’individus , aux communautés ethniques, estime Gassama Diaby.
Il dénonce par ailleurs l’absence débat lucide et sérieux sans passion sur la situation générale de notre pays et l’incapacité générale de la Guinée et des Guinéens à penser leur propre condition d’existence.
C’est pourquoi d’ailleurs, dira-t-il aux étudiants : » je suis venu vous inviter à réfléchir sur vos conditions de vie, sur les causes profondes de nos crises, des violences qui nous guettent. » » Nous sommes dans une société en désordre car incapable de faire un choix cohérent et lisible pour son avenir « , a reconnu le ministre des droits de l’Homme par la suite.
Déconstruire le système culturel entre autres importances, a expliqué Gassama Diaby, « les droits de l’Homme sont là pour empêcher la tentation de tout État à la totalité, et aux contrôles de nos vie et de nos pensées, de toute société aux rapports brutes de forces et de violences. » Il précise que cela est valable en Guinée comme ailleurs. Or, tout État par définition a une tentation de contrôler tout.
Mais en plus des droits de l’Homme, la limitation des tentations de l’Etat peut aussi être favorisée par le système politique ouvert et démocratique. Et, parmi les différents systèmes politiques, la démocratie reste le meilleur ( à ce jour ) aux yeux du Ministre, comme » instrument et lieu d’épanouissement des idéaux des droits de l’Homme ».
Le hic c’est qu’en Guinée, lance le Ministre aux étudiants, ce (nouveau) système politique souffre encore de plusieurs incohérences, paradoxes et difformités sociopolitiques et institutionnels.
Dans le contexte guinéen, le ministre des Droits de l’Homme estime qu’il y a des valeurs culturelles et des paramètres sociaux qui demeurent incompatibles avec les principes démocratiques. » Lorsque vous voulez la démocratisation d’une société , il faut au préalable lancer un processus lucide de déconstruction de vos valeurs socioculturelles afin de favoriser l’émergence d’un nouvel ensemble
socioculturel et politique cohérent et approprié avec les valeurs démocratiques qui intègre le plein respect des droits de l’Homme « , a souligné Gassama Diaby, après avoir critiqué de long en large l’ethnocentrisme, les violences sociales et politiques, les problèmes liés à l’impunité et l’injustice et le régionalisme qui caractérisent le jeu politique guinéen. » Faire des choix ethniques n’est pas en soi incompatible avec les normes démocratiques « , a précisé le Ministre.
Sauf qu’avec ce choix, a-t-il démontré, vous risquez d’exclure les autres; et surtout ce choix serait contradictoire avec notre système institutionnel normatif et théorique. » Si vous choisissez quelqu’un pour des raisons identitaires, vous ne devrez pas vous étonner à ce que les autres ne soient pas avec vous. Ainsi s’en est fini de notre idéal républicain et citoyen…et bonjour le communautarisme et ses cortèges de conflits inextricables « , a expliqué le Ministre conférencier.
Pour le ministre, le choix identitaire prouve que la démocratie est encore mal comprise dans le pays. Mais le problème est à régler en amont. « Si vous voulez la démocratie, il faut que vous soyez vous-mêmes, dans vos comportements individuels, conformes aux valeurs démocratiques.
Si vous voulez la république, il faut que vous refuser de voter pour quelqu’un parce qu’il est de votre communauté. Si vous voulez les droits de l’Homme, il faut que vous commencer par reconnaître les mêmes droits à l’autre, essentiellement à celui avec qui on n’est pas d’accord », a lancé le ministre.
Ce sont là entre autres vérités qui, selon le ministre, devraient ressortir des discours politiques. Malheureusement, déplore-t-il, on parle de tout sauf de l’essentiel. » Quand on parlera de l’essentiel, vous verrez qu’il y a très peu qui sont prêts à affronter ce peuple pour lui dire les vérités indispensables à l’instauration d’une véritable démocratie en Guinée… », pense le ministre.
L’essentiel, selon Gassama Diaby, serait de reconnaitre qu’on ne peut pas construire la démocratie dans l’inégalité, la violence, l’injustice ou l’exclusion, puisque la démocratie consiste justement à exclure ces maux de la société. L’essentiel serait aussi d’avoir le courage de reconnaître les éléments de nos cultures qui ne sont pas du tout compatibles avec la démocratie.
» Par exemple, un leader politique devrait se rendre en Haute-Guinée, en Basse Guinée, en Forêt ou au Fouta, pour dire à monsieur que sa femme n’est ni un objet, ni sa propriété, mais son égal. Que les enfants ont des droits… Ainsi on verra si ce dernier votera pour lui pour des raisons identitaires « , a-t-il cité.
Pour Gassama Diaby, dire que la Guinée est une dictature comme accuseraient certains, c’est perdre le sens des mots, de la mesure et de la complexité de notre réalité. Les mots ont des sens et perdre le sens réel des mots, c’est comme le dirait Camus » en rajouter aux malheurs du monde ». La Guinée n’est pas non plus une démocratie comme se vantent d’autres. Nous sommes dans un pays qui vient de loin et qui s’est lancé dans un complexe et difficile processus de démocratisation.
Il recèle en son sein aujourd’hui des aspects et des éléments positifs démocratiques ( aussi mineurs soient ils face aux défis existants), mais aussi des aspects en mutations positives ( qui ont besoin de temps) et sans conteste des aspects et des éléments absolument non et anti-démocratiques. Nous sommes dans une zone grise, avec des défis à relever plus importants que quelques acquis certes positifs mais mineurs.
Face à ces défis rajoute le ministre, » sauf à vouloir simplement se faire plaisir, réduire les problèmes guinéens à une question de personne par commodité politicienne ou de langage, c’est faire preuve de mauvaise foi politique et intellectuelle. Nos défis démocratiques sont colossaux, ils sont systémiques, ils sont historiques, sociaux, culturels, politiques et institutionnels ».
Il persiste : » si les Guinéens veulent adopter le système démocratique, ils doivent renoncer aux considérations ethniques, faire l’inventaire de notre histoire politique, déconstruire nos paradigmes sociaux et culturels, et construire un système politique et institutionnel qui d’une part puisse préserver la conquête et l’exercice du pouvoir des paramètre ethniques et Clientelistes, et d’autre part qui garantisse aux citoyens la pleine protection et jouissance de leurs droits et libertés quelque soit le pouvoir en place, ou la situation politique ».
Car, insiste le ministre, seule une démocratie améliorée pourrait mettre fin à la crise « systémique » actuelle. » Toutes les sociétés qui ont compris la démocratie ont d’abord déconstruit leur système culturel. En Guinée, nous voulons le beurre, l’argent du beurre et la crémière…. « , regrette-t-il…
Avant de conclure » il est maintenant temps, tout en cherchant des solutions à nos crises conjoncturelles, de porter désormais le débat sur la nature et le modèle institutionnel qu’il nous faut pour garantir à notre pays une stabilité socio-institutionnelle, à travers la création et le fonctionnement d’institutions démocratiques efficaces qui garantissent aussi bien la possibilité d’alternance démocratique, que la jouissance des droits et libertés par les citoyens de notre pays.
— conakrylemag