Hasard du calendrier, l’élection présidentielle en Guinée se tiendra quelques jours après le 6e anniversaire du massacre du 28 septembre 2009, au cours duquel 150 personnes avaient été tuées et une centaine de femmes violées dans le stade de Conakry, parce qu’elles exigeaient la tenue des premières élections libres et transparentes de l’histoire du pays, excluant les militaires de la junte putschiste alors au pouvoir.
Hasard du calendrier encore, ce scrutin du 11 octobre devait coïncider avec celui du Burkina Faso, jusqu’à ce que la récente et tragique aventure du général Dienderé et de ses hommes du Régiment de la sécurité présidentielle bouleverse l’agenda burkinabé, rappelant avec force combien l’impunité est cause d’instabilité et combien l’amnistie n’est plus acceptable, au pays des Hommes intègres comme ailleurs en Afrique.
Hasard du calendrier enfin, cette élection qui devra confirmer que la Guinée est résolument engagée sur la voie de la démocratie et de l’État de droit, intervient alors que le dossier judiciaire visant les responsables des crimes du 28 septembre semble toucher au but, après l’inculpation de l’ancien capitaine Moussa Dadis Camara et les progrès importants réalisés au cours des derniers mois.
Les victimes de ce massacre ont craint pendant un temps que ces crimes demeurent impunis et s’ajoutent ainsi à la longue liste des violations des droits humains commises en Guinée restées sans suite, à la faveur d’arrangements politiques ou d’une justice longtemps aux ordres. Désormais, les 400 personnes que représentent devant la justice la FIDH et l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’Homme (OGDH) aux côtés de l’Association des victimes du 28 septembre (AVIPA), attendent de pied ferme un procès qui aura valeur d’exemple pour la lutte contre l’impunité sur le continent.
Détermination de la société civile
Le rôle de la société civile aura été déterminant, tant dans la procédure judiciaire que pour lever les pesanteurs politiques qui se sont parfois présentées. Cela vaut aujourd’hui à Asmaou Diallo, présidente de l’AVIPA, d’être nommée pour le prestigieux prix Martin Ennals, qui sera attribué à Genève le 6 octobre et qui récompenserait à juste titre l’inlassable travail d’accompagnement et de soutien aux victimes fourni par l’AVIPA depuis 6 ans.
La volonté politique a, elle aussi, été centrale. Longtemps ralentie par le manque de soutien aux magistrats instructeurs, la procédure s’est accélérée avec l’arrivée d’un ministre de la justice, Cheick Sako, qui a fait de ce dossier l’un de ses principaux engagements.
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Quel qu’il soit, le prochain gouvernement devra poursuivre dans cette voie et garantir les conditions d’une clôture rapide de l’enquête et d’un procès satisfaisant : présence à la barre de Moussa Dadis Camara et des 13 personnes inculpés avec lui, dont Claude Pivi, encore en poste au sein de la sécurité présidentielle ; comparution de son ancien aide de camp, Toumba Diakite, toujours en fuite malgré une notice rouge d’Interpol ; et des mesures pour les victimes, qui devront affronter leurs bourreaux au tribunal sans que n’existent, pour l’instant, de véritables dispositifs de protection.
Mais la justice devra aller plus loin que ce procès tant attendu. S’il y a une chose sur laquelle les Guinéens s’accordent, c’est bien le délabrement de cette institution. Des efforts importants ont été engagés depuis 2014, à travers un ambitieux programme de réforme qui doit être salué, la mise en place du Conseil supérieur de la magistrature ou la nette augmentation du traitement des magistrats. Cependant, beaucoup reste à faire pour donner à cette institution la crédibilité qui lui a tant fait défaut par le passé et créer un indispensable lien de confiance avec les justiciables.
Accélérer la réconciliation nationale
Même réformée, la justice guinéenne ne pourra solder l’ensemble des crimes du passé, et notamment ceux du camp Boiro, de la dictature de Sékou Touré ou de la répression de 1985, qui continuent de miner les relations sociales et d’alimenter les divisions, régionales ou communautaires, même si l’ensemble de la population aura finalement été victime de cinquante années de violences politiques.
Seul un véritable processus de réconciliation nationale, promis depuis 2010 mais très laborieusement mis en place jusqu’à présent et incarné par le grand imam de Conakry et l’archevêque de Guinée au sein d’une commission provisoire, pourra permettre de regarder enfin l’histoire contemporaine nationale et de dessiner les contours d’une société apaisée. Le prochain gouvernement devra s’engager à soutenir ce processus à travers des consultations nationales et la création d’une commission dotée d’un réel mandat et de moyens suffisants.
Les crispations politiques, la persistance du référent ethnique et des tensions sociales, souvent émaillées de violences, témoignent du lourd passé politique guinéen et des enjeux de justice et de réconciliation qu’il faudra impérativement relever pour consolider les acquis démocratiques et les fondements de l’État de droit en Guinée. Ce que ni le nouveau barrage hydroélectrique de Kaleta ni le retour de la croissance économique après l’épidémie d’Ebola ne pourront garantir durablement.
Me Drissa Traore, vice président de la FIDH
Le Monde.fr
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