GUINEE POLITIQUE : Après le retour avorté de l’ancien chef de la junte militaire, son conseiller politique vient d’adresser une lettre ouverte au président guinéen. Ahmed kourouma invite Alpha Condé d’interroger l’histoire afin de permettre à Moussa Dadis Camara, victime selon lui de l’injustice, de rentrer au bercail.
« Pour cela je vous demande de jeter de nouveau un regard vers l’histoire, afin que vous interrogiez cet homme pour lequel j’aurai souhaité me battre il y a des années… Hier. », lit-ton dans la lettre.
zoneafrique.net vous livre l’intégralité de la lettre !
Excellence,
Il y a longtemps j’ai compris qu’il n’y avait rien de plus important à mes yeux que la justice ou plutôt, j’ai réalisé très tôt qu’il n’y avait rien de plus abject, frustrant et finalement dégradant que l’injustice.
Je n’ai pas vocation à défendre un parti plus qu’un autre, ni un homme plus qu’un autre, je ne me suis jamais fait le chantre d’une mouvance mais bien l’adversaire de l’iniquité et de l’injustice.
Je chéris l’histoire et ses enseignements, je chéris la mémoire de nos ancêtres car elle prépare celle de nos enfants. Je chéris l’histoire oui car c’est une source inépuisable d’exemples, une source intarissable de grandes actions et de grands hommes. Je me tourne souvent vers elle, vers cette Histoire qui sait m’apporter le souffle qu’il me manque lorsque je me dresse contre l’adversité.
Car j’ai beaucoup de combats et bien moins de victoires, mais j’aime à croire que ces combats me ressemblent, et que leurs victoires sont aussi celles de principes humanistes et universels que la petite histoire retiendra. Quant à mes multiples défaites, je n’ai aucun doute qu’elles se verront balayés par des hommes plus grands ou plus braves que moi, un jour, au regard de cette même histoire.
Pourtant lorsque je regarde en arrière, et sans remonter trop loin, je m’aperçois qu’ici et là des hommes et des femmes ont lutté dans l’ombre. Qu’ils ont œuvré pour le bien de tous et pour le meilleur. Parfois l’histoire a jugé qu’ils étaient dignes de la marquer et parfois s’en sont allés sans même laisser une empreinte.
Il y a tant d’hommes et de femmes à réhabiliter dans nos mémoires, tant d’hommes et de femmes pour lesquels j’aurais pu me battre.
Et même si certains sont passés de l’ombre à la postérité, ils auraient tout autant mérité que je me batte pour eux dans leurs moments de désespoir et de lutte.
D’aucuns diront que mes combats sont orientés, partisans ou calculés, mais je me serais battu pour P. Lumumba, Nkrumah, A. Cabral, Kenyatta ou bien sûr Mandela.
Parce que je ne choisis pas mes combats, mais bien parce que ce sont eux qui me choisissent, j’aurais aussi défendu avec mes maigres armes cet universitaire retenu en exil forcé dans les années soixante-dix. Exilé et condamné à mort par contumace par ce que son pays appelait justice.
J’aurais écrit des lettres, des pages et des pages de textes, remué ici et là les hommes et les femmes, tentant de bouleverser l’opinion. Tout ça avec ces armes, peut-être pour un résultat peut-être pas. Mais je n’aurais pas eu honte de mes combats car ils sont miens et je suis leur obligé.
Monsieur le Président, je me serais battu pour cet opposant historique que l’on tenait exilé loin de son pays, à qui l’on reprochait sa lutte pour la démocratie dans ce même pays qui était encore replié sur lui-même et dans l’obscurité.
Oui je me serais battu car dans mes combats figurent ceux pour protéger de la mort les hommes qui œuvrent pour la liberté.
Puis de nouveau j’aurai pris le même chemin périlleux, celui de la lutte et du défi lorsque ce même homme plus tard sera emprisonné pour plus de deux années par un autre régime, né de la même injustice.
Oui Monsieur le Président, je me serais battu pour la liberté donc pour cet homme. J’aurai été celui que l’on ne musèle pas, celui qui chaque matin s’écœure de voir que l’injustice frappe près, si près de moi. Je sais que vous connaissez bien cet homme Monsieur le Président, il se battait comme moi pour la justice et pour établir des valeurs auxquelles il croyait.
Oui il se trouve que vous connaissez cet homme et j’aimerais, moi, lui rappeler qu’il n’y a pas de principe plus grandiose et plus juste que la liberté. Comme disait Nelson Mandela, « je ne suis pas vraiment libre si je prive quelqu’un d’autre de sa liberté ».
Je sais que comme moi, vous vous tournez souvent vers l’histoire, mais j’ai un avantage certain sur vous, Monsieur le Président. L’Histoire ne me retourne pas mon regard, elle ne me fixe pas de ses yeux perçants.
Non, Monsieur le Président, lorsque je regarde l’histoire je ne frémis pas en pensant à son jugement, aujourd’hui je n’ai pas de compte à lui rendre.
Alors aujourd’hui je me bats pour un homme exilé et pour son droit légitime, à se défendre face à la justice de son pays.
Monsieur le Président, c’est pour que votre jeune frère, Moussa Dadis Camara rentre au bercail que je me dresse aujourd’hui.
Pour qu’il retourne se défendre et faire valoir ce qu’il doit et comme il le peut. Pour cela je vous demande de jeter de nouveau un regard vers l’histoire, afin que vous interrogiez cet homme pour lequel j’aurai souhaité me battre il y a des années… Hier.
Demandez à cet opposant historique, exilé et emprisonné, cet intellectuel, ce professeur opprimé s’il est tout à fait libre aujourd’hui en privant quelqu’un d’autre de sa liberté ?
Je connais sa réponse.
Je connais sa réponse car c’est aussi la mienne…
Je connais sa réponse car cet homme, Monsieur le président, cet homme avait des combats qui lui ressemblaient.
Alors écoutez-le !
Ahmed kourouma
Conseiller politique
De votre jeune frère »
— conakrylemag