Auteurs : Alpha Oumar Camara, doctorant en droit international à l’Institut du Droit de la Paix et du Développement, à l’université Nice-Sophia Antipolis–France et Dr Moké Silubwe, ancien recteur de l’université Kofi Annan de Guinée
La restructuration des ambassades occupe, partout, l’actualité du monde diplomatique : il ne se passe plus un jour sans que la fermeture définitive d’ambassade ne soit évoquée dans les chancelleries.
La crise économique a fini par rappeler à tous les Etats que se faire représenter dans tous les pays amis en maintenant coûte que coûte une ambassade et un lot de personnel diplomatique est une charge financière considérable. « Ô tempora, Ô mores ! » (quelle époque, quelles mœurs !) peut-on ainsi dire avec Cicéron. Certes, l’amitié entre pays amis qui se font représenter chacun dans la capitale de l’autre n’était pas gratuite depuis l’invention de la diplomatie dans l’ancien temps. Mais la crise financière et les pressions budgétaires ne permettent plus d’épargner même les Etats les plus riches des coupes budgétaires.
Les temps sont-ils aussi durs pour qu’un Etat, comme les Etats-Unis,ferme sa toute petite Ambassade auprès du Vatican, ou que la Belgique se fasse fermer sa représentation diplomatique à Brazzaville qui a toujours servi à évacuer les belges de Kinshasa depuis 1960 en cas de troubles dans la capitale de la RD Congo voisine.
On ne sait plus à quel saint se vouer lorsqu’on essaie de connaître un peu plus les raisons qui poussent un gouvernement à réduire son personnel diplomatique voire à fermer carrément son ambassade dans un pays ami.
Mais comment en est-on vraiment arrivé à ce point sans que l’amitié entre deux Etats ne s’ébranle ? Car, depuis le 20ème Siècle, l’amitié entre deux Etats ne pouvait se concevoir sans que l’un n’envoie son ambassadeur en poste en permanence chez l’autre. La question qui se pose est d’abord politique : peut-on fermer son ambassade pour des motifs budgétaires, par exemple, sans compromettre l’amitié entre deux Etats ? La seconde interrogation est juridique : un gouvernement peut-il maintenir son ambassade chez un pays ami qui n’est plus représenté chez soi ? Autrement dit, un gouvernement ne viole-t-il pas le principe de réciprocité diplomatique en maintenant sa représentation diplomatique dans un pays, certes ami, qui a fermé son ambassade chez soi.
Enfin, que faire des usagers des ambassades qui voient chaque jour leur chancellerie s’éloigner loin dans un autre Etat ? Un Etat comme la Slovaquie n’a plus qu’une seule ambassade à Abuja (Nigeria) pour tous les usagers de toute l’Afrique de l’Ouest ? Quelle galère pour les étrangers voulant obtenir leur visa pour ce nouvel Etat de l’Union Européenne, alors que, comme pour appuyer sur le mal, le gouvernement slovaque s’est permis de retirer la délivrance du visa à tous les consulats encore ouverts dans cette région de l’Afrique. Doit-on vraiment, désormais prendre un avion pour aller chercher les visas d’un Etat, faute d’ambassade proche ?
Mais pourquoi certains Etats n’invoquent pas les raisons budgétaires et sont restés insensibles au phénomène planétaire de restructuration d’ambassades. Le cas du Vatican étonne. Ce petit Etat continue de maintenir ses représentants dans toutes les parties du monde, comme si la manne financière continue de tomber du ciel. Avec quels moyensle Saint-Siège traverse-t-il la crise financière que connaît le monde diplomatique ?
A l’inverse, plusieurs Etats, non les moindres comme la France et les Etats-Unis ferment ou menacent de fermer leurs ambassades auprès du Vatican qui n’a jamais eu d’échanges économiques et donc aucun intérêt économique avec les Etats de la planète. Compte tenu du nombre très réduit de diplomates étrangers auprès du Vatican probablement par manque d’intérêt économique avec cet Etat confessionnal, le Vatican subit des fermetures d’ambassades chez lui pour des raisons n’ayant certainement aucun lien avec les difficultés budgétaires des Etats.
Le Vatican traverse un mauvais moment avec les grands courants de libération de la morale sexuelle qu’engendrent l’homosexualité et la répression de la pédophilie. Ainsi, le Vatican est diplomatiquement invité à mettre de l’eau dans son vin et à ne pas s’opposer à l’accréditation d’ambassadeur en invoquant des sujets qui fâchent comme récemment l’arrivée au Saint-Siège d’un ambassadeur homosexuel français.
Assiste-t-on à une simple crise des relations diplomatiques ou à une révolution depuis la grande époque de l’essor diplomatique des années 1920 ?
Cinq considérations semblent établies quand on veut savoir les stratégies de restructuration du réseau d’ambassades dans le monde.
La première considération est mathématique et irréversible : le réseau mondial cumulé d’ambassades s’atrophie et les fermetures se poursuivent plus vite que les ouvertures.
La 2ème considération est une question stratégique et politique : que deviennent les relations diplomatiques entre Etats après fermeture d’ambassade ?
La 3ème considération est structurelle : les ambassades bilatérales disparaissent au profit de représentations diplomatiques multilatérales plus vastes étalées sur deux à six Etats par ambassade. S’achemine-t-on inéluctablement vers la fin d’ambassades bilatérales au profit de représentations diplomatiques multilatérales ?
La 4ème considération est sociale : le personnel diplomatique subit des coupes dans les effectifs et le budget de fonctionnement et connaît des surcharges de compétence géographique.
La 5ème considération est migratoire : il est à penser que les tristes actualités télévisées récentes ont, à coup sûr, contribué à la décision de revoir la gestion du massif flux de migrants placée au cœur des préoccupations des gouvernements des pays du Nord. Ainsi, la cartographie de leurs représentations diplomatiques et consulairesqu’ils tentent de mettre en place viserait à décourager au départ, par l’éloignement de leurs ambassades, les potentiels candidats à l’immigration. Ce qui risque de produire l’effet contraire favorisantl’immigration clandestine et ouvrant la voie aux embarcations de fortune et à d’autres chemins d’Europe encore plus périlleux.
Le réseau mondial cumulé d’ambassades s’atrophie et les fermetures se poursuivent plus vite que les ouvertures
Depuis la crise qui couve l’économie, un phénomène planétaire semble ne plus s’estomper et n’épargner aucune des nations du monde civilisé : il y a désormais beaucoup plus de fermeture que d’ouverture d’ambassades dans tous les Etats.
Même la France qui occupe la place du 3ème plus gros réseau d’ambassades avec 163 ambassades bilatérales et 16 représentations multilatérales, ferme et rationnalise. La France détient à elle seule l’un des patrimoines immobiliers les plus vastes hors du territoire : 1,9 millions de m2 de résidence d’ambassadeurs de France, de consulats et de centres culturels français. La Cour des comptes française est montée au créneau estimant le 02 mai 2013 dans un « référé sur l’évolution du référé diplomatique depuis 2007 » que les 523 millions d’euros affectés à l’entretien du patrimoine immobilier hors des frontières sont excessifs et ne sont plus adaptés à « l’évolution des enjeux stratégiques ».
Que deviennent les relations diplomatiques entre Etats après fermeture d’ambassade ?
L’amitié entre deux Etats est-elle entamée par la fermeture de la représentation diplomatique ? La réponse à cette question était évidente au siècle dernier où les pays amis étaient tenus d’assurer une représentation permanente mutuellement. L’itinérance qui consiste à n’envoyer une ambassade qu’en cas de nécessité et pour des causes précises, était vue comme une marque d’inimitié entre Etatssouverains. Mais la crise économique est passée par là : il est nettement acquis que l’amitié entre pays amis est désormais payante. Personne ne peut l’ignorer.
Avoir un ambassadeur résident n’est dès lors plus qu’une option, pas une condition de l’amitié entre Etats. Tout dépendant, bien sûr, de ce qu’on laisse après une fermeture définitive d’ambassade.
Les ambassades fermées laissent de plus en plus derrière elles des consuls honoraires dont la compétence pléthorique laisse planer des doutes sur les motivations réelles du choix de ce modèle très ancien de représentation diplomatique. Ce niveau de relations entre Etats est très critiqué par les usagers des services diplomatiques. La plupart des Etats membres de l’Union Européenne ont réduit les attributions de consuls à des missions élémentaires de présence commerciale et leur interdisent la délivrance de visas.
Les conséquences d’une telle politique d’allègement structurel ne se sont pas fait attendre : les consulats honoraires tenus par des étrangers pour le compte d’un Etat tiers, sont désertés par les usagers qui n’y trouvent aucun intérêt à leurs besoins et démarches. Pas de pouvoir, pas d’intérêt. Le fait de fermer une ambassade et d’accréditer un ambassadeur dans une vaste représentation diplomatique couvrant deux à six Etats parfois, ne permet pas vraiment de maintenir la qualité de services attendus par les usagers d’une ambassade fermée.
La « galère » des diplomates : les coupes financières sur fond de crise sociale au personnel diplomatique
La galère était des bateaux de l’Antiquité au XVIIIème siècle sur lesquels des prisonniers voire des esclaves étaient condamnés à exécuter leur peine en ramant le navire. Les diplomates du monde entier connaissent une période d’instabilité et de régime financier au sec. Les coupes financières ont réduit le train de vie de la plupart des missions diplomatiques. Les fermetures d’ambassade touchent les diplomates placés en 1ère ligne de réduction drastique des dépenses publiques.
Les rescapés de compression d’effectifs des missions diplomatiquesfermées doivent subir des frais de fonctionnement en baisse, sans compter le non renouvellement de certains postes. Il est évident que l’ouverture des grandes missions diplomatiques s’étendant sur plusieurs Etats accroît la surcharge du travail chez les diplomates très nombreux à vivre un stress au dessus de la moyenne.
Les profils de recrutement vont se durcir et exigent, de la part de candidats à la carrière, une très grande polyvalence culturelle.
Face à cette nouvelle houle diplomatique aux conséquences mondiales que prévoit donc le gouvernement de la République de Guinée ? Notre Ministère des affaires étrangères est-il préparer à ce qui semble s’apparenter à la fin des ambassades bilatérales au profit des représentations multilatérales? Que propose–t-il concrètement en termes de stratégie de restructuration des représentations diplomatiques de la Guinée dans le cadre de l’amincissement des dépenses publiques? Ce sont là des questions qui méritent d’être posées et débattues sereinement dans le souci d’anticipation du travail diplomatique.
Même si elle n’a pas encore pris l’ampleur qu’elle aura dans les prochains mois ou dans les années à venir, il faut garder à l’idée que la Guinée est, d’une certaine manière, directement concernée par la fermeture d’ambassades. Pour s’en convaincre, il suffit de rappelerbrièvement les menaces de fermeture non mises à exécution de quelques ambassades ou celle plus tangible de l’Ambassade d’Arabie Saoudite à Conakry qui s’inscrit dans une perspective autre que celle de la bonne gestion des finances publiques de la représentation diplomatique royale accréditée à Conakry. Elle concerne, comme on peut le savoir, la grande épidémie de fièvre Ebola qui a foudroyé la Guinée et qui aurait dû se résoudre, en principe, dans le cadre du règlement sanitaire international de l’Organisation mondiale de la Santé et des différentes résolutions des Nations Unies sur la fièvre Ebola.
Nonobstant les efforts fournis par l’actuelle diplomatie guinéenne, l’inconvénient majeur, pour la Guinée, d’une telle fermeture est qu’encore aujourd’hui, pour la deuxième année consécutive, les mahométans de Guinée ne peuvent pas se rendre à la Mecque pour accomplir le pèlerinage, 5ème pilier de l’Islam. Sauf à procéder auxdérivations, par tous moyens, des obstacles juridiques. Cette entrave, pour la raison de santé publique, à l’exercice de leurs libertés de culte, d’aller et de venir au pays de Sa Majesté, en tant que nationaux guinéens, est, à présent, ce qu’il y a d’infiniment grave pour le peuple de Guinée. Aussi, a-t-on jamais idée du nombre d’étudiants guinéens qui, à cause de la fermeture de l’Ambassade à Conakry de Sa Majesté, ne peuvent pas poursuivre leurs études supérieures dans les grandes écoles royales saoudiennes ? On peut également, l’Arabie Saoudite étant un des axes commerciaux les plus prisés des commerçantes de Guinée, penser à ce qui peut être fait dans le cadre de la facilitation de leurs démarches administratives et de la protection de leur pouvoir économique sur l’axe commercial Conakry-Djeddah-Conakry. Les décisions qui seront prises en ce sens, par le gouvernement de la République, pour régler ces problèmes, encourageront inévitablement les initiatives et les entreprises privées de Conakry.
De ce qui précède, et dans un contexte de ressources financières de plus en plus rares, il est utilement judicieux, même indispensable, de savoir avec exactitude les recettes et les dépenses sur l’entretien de l’ensemble du patrimoine immobilier hors des frontières ainsi que la superficie réelle des consulats, ambassades et résidences d’ambassadeurs de Guinée. Il y a également lieu de garantir à tousl’accès à ces informations. Ce travail a un double avantage : il permet de déterminer la capacité de l’Etat guinéen d’améliorer la qualité du service public dans ses représentations diplomatiques dans le sens de la transparence et de la bonne gestion des ressources financières consacrées au patrimoine immobilier guinéen hors frontières et d’adapter l’organisation du réseau diplomatique de la Guinée en tenant compte de la tendance actuelle des relations internationales.
Ainsi, quelques indications peuvent aider à l’établissement d’une nouvelle cartographie diplomatique guinéenne. Pour ce faire, il convient de déterminer, si, dans ses propres intérêts économiques et géostratégiques, le Ministère des affaires étrangères décide de suivre la houle diplomatique, le critérium qui peut justifier la fermeture d’ambassades en fonction des enjeux du moment. Dans cette démarche, on pense par exemple à l’intérêt qu’il y a encore aujourd’hui de maintenir, dans quelques Etats, des ambassades et consulats dont les justifications remontent à l’époque du monde bipolaire ou qui restent la démarcation politique de l’action diplomatique de la Guinée de ce monde bipolaire à l’indépendance du pays et au commencement des années 1960. C’est le cas des représentations diplomatiques et consulaires créées dans la foulée du Mouvement des Non alignés. Le plus important, ce n’est pas de maintenir sur papier un consulat, c’est de le faire vire concrètement. Aussi, que sait-on réellement du nombre de guinéens à travers le monde ou dans chaque Etat où la Guinée est représentée ? La réponse à cette question peut, en outre, tenir lieu de critère utile à la redéfinition d’une nouvelle cartographie avec des compétences géographiques des ambassades et consulats rendues utiles. Mais le problème est que ce chiffre réel demeure inconnu officiellement car depuis plusieurs années, les ressortissants guinéens sont insuffisamment recensés par l’Etat, essentiellement à l’occasion des joutes électorales, et seulement dans quelques grandes mégalopoles africaines (Angola, Abidjan, Abuja, etc.) et occidentales (Paris-New-York-Canada, etc.) Or, le maintien d’ambassades doit désormais se faire, dans quelque cas, en fonction du poids des relations économiques publiques et privées. Ce qui ne signifie pas la fin des relations avec les Etats accréditaires concernés. Il s’agit seulement de reporter les compétences et attributions de certaines ambassades ou consulats à d’autres. Cela explique la nécessité absolue de mener une étude sérieuse sur le sens de l’action diplomatique ainsi que sur les avoirs qui prennent inévitablement la destination des caisses de la Direction nationale du Trésor public.
L’autre problème qu’il faut avoir à l’esprit dans la perspective d’une éventuelle réorganisation de la diplomatie guinéenne porte sur les qualifications, les compétences requises pour le recrutement du personnel diplomatique de la Guinée. Au cœur de ce problème se trouve le débat sur la qualité des programmes de formation et d’une manière générale de l’enseignement supérieur. Sur la base d’un accord-cadre, le Ministère des affaires étrangères et celui de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique peuvent établir, en fonction du besoin en personnel qualifié de la chancellerie,un plan quinquennal sur les programmes d’enseignement à l’usage des universités guinéennes et de futures grandes écoles, dont la construction est devenue crucialement indispensable, dans le domaine de la diplomatie, de la politique, de l’Histoire, des arts...car la diplomatie est tout un dynamique ensemble.
Pour finir, sur la Guinée, il n’est pas possible d’avoir une cohérence dans la restructuration d’ambassades sans une étude fiable sur le patrimoine et sans statistiques aboutissant à un document de stratégie sur le futur nouveau réseau d’ambassades de la Guinée. C’est le seul moyen d’avoir des repères objectifs et un consensus.
— conakrylemag