L’établissement d’une nouvelle constitution ne relève pas du droit, il fonde le droit

« L’établissement d’une nouvelle constitution ne relève pas du droit, il fonde le droit » (FAVOREU L., GAIA P., et aii, Droit constitutionnel, Dalloz, 2014, p. 113). Cette réflexion permet de dissiper quelques divagations de nature à soutenir que le Président de la République aurait « le droit de proposer une nouvelle constitution au peuple » (Interview de Damaro Camara, chef de la majorité présidentielle, sur l’émission les Grandes gueules du 14 mai 2019). En effet, sans entrer dans les conséquences que cela risquerait d’entraîner en termes d’instabilité institutionnelle, à supposer que chaque président revendique l’exercice de ce ‘‘prétendu droit ‘’, aucune  constitution ne peut prévoir les conditions de sa propre abrogation. A moins que le président tienne ‘‘ce droit’’ d’un texte autre que la constitution

Depuis quelques mois, on assiste, en Guinée,  à des velléités de changement constitutionnel au point de faire émerger  une forte mobilisation citoyenne ou militante tant du camp des partisans que dans celui des opposants à ce projet, sans, toutefois, qu’il n’y ait de communication officielle sur le sujet.

Il convient d’analyser dans un premier temps, les arguments avancés pour le changement de la constitution du 07 mai 2010 (I), avant d’évoquer un contexte peu propice à la mise en place d’une nouvelle constitution (II)

  1. Les arguments en faveur du changement de constitution

Le procès en illégitimité fait à la constitution du 07 mai 2010 s’appuie sur plusieurs arguments, le principal étant la non-validation du texte par le peuple à travers un référendum.  Sont aussi avancés d’autres arguments comme l’existence dans l’actuelle constitution de plusieurs institutions budgétivores jugées non nécessaires. Ces arguments cachent-ils une autre ambition, celle visant à permettre à l’actuel président de rester au pouvoir au-delà des limites temporelles imposées par la constitution en vigueur ? Telle est la question qui se pose et prédomine les débats.

Sur la non -validation du texte par le peuple par référendum, deux motifs sont souvent brandis par les acteurs de la transition : l’insuffisance des moyens d’organiser un référendum en plus de l’élection présidentielle qui était déjà fort couteuse et dont le financement a été principalement pourvu par la communauté internationale (ZOGBELEMOU T.,  « la constitution guinéenne du 07 mai 2010 : contexte et innovations »  revue FSJP-UGLC-SC, N°5, p. 3)  et les contraintes liées au temps (Ibidem). De notre point de vue, ces arguments résistent peu à l’analyse, dans la mesure où un Etat organisé et respectueux ne compterait pas sur la communauté internationale pour organiser des élections qui, par définition, relèvent de la souveraineté nationale et, de plus, se donnerait le temps nécessaire pour ne pas brûler une étape aussi importante que celle du référendum constituant. Toutefois, en dépit de ce qui vient d’être relevé qui, du reste, peut être considéré comme un manquement grave du point de vue démocratique, il convient de faire remarquer que près d’une décennie après sa promulgation, la constitution  du 07 mai 2010 n’a ni précipité le pays dans une crise, ni fait l’objet de contestation majeure ; de sorte  qu’il est, aujourd’hui, possible de soutenir que le peuple de Guinée a tacitement validé son contenu. Le Président de la République lui-même, en tant qu’institution, tire sa légitimité et sa légalité de cette constitution, ayant été élu et réélu sur la base et dans les conditions définies par cette dernière.

Par ailleurs, il convient de signaler que la soumission du projet de constitution au peuple est fondée sur une « tradition démocratique ». Cependant, plusieurs constitutions n’ont pas été soumises au peuple, elles n’en sont pas moins valables. C’est le cas de la constitution allemande de Weimar du 31 juillet 1919. Quant à la constitution du 12 mai 1949, son entrée en vigueur définitive était soumise non pas à l’approbation du peuple, mais à celle des gouvernements militaires alliés et par les parlements des Lander.  Après la réunification, on a préféré garder la constitution de 1949, alors même que celle-ci n’a jamais été soumise à référendum.

Ainsi donc, bien qu’elle soit une étape importante du point de vue démocratique, la phase du référendum n’est pas indispensable pour rendre valide ou valable une constitution.

Sur l’existence d’institutions budgétivores et non nécessaires, le débat est permis. Mais, en tout état de cause, la révision constitutionnelle est bien indiquée pour procéder à une quelconque réforme en ce sens. Point n’est donc besoin d’adopter, à cet égard, une nouvelle constitution.

  1. Un contexte peu propice à la mise en place d’une nouvelle constitution

Le plus grand obstacle qui se pose à l’adoption d’une nouvelle constitution en Guinée est l’absence d’un consensus national sur le sujet. A l’arrivée du Général De Gaule à la tête du Conseil de gouvernement en France en 1958, il y avait, certes quelques oppositions à la constitution qu’il ambitionnait pour son pays, mais tout le monde était unanime qu’il fallait mettre fin à la crise qui sévissait alors et qui s’expliquait, en grande partie, par la fragilité des institutions de la IVème République. Par la suite, plusieurs étapes ont été suivies, du vote de la loi constitutionnelle du 03 juin 1958   au référendum du 04 octobre de la même année. On est loin du contexte guinéen.

Le contexte qui prévaut dans le pays aujourd’hui est caractérisé par l’expiration du mandat d’une Assemblée Nationale et sa prorogation avec l’accord de la Cour constitutionnelle, la non-finalisation du processus des élections communales du 04 février 2018, l’expiration prochaine (1 ans six mois) du mandat du Président de la République qui, pour l’instant, entretient le flou sur ses réelles intentions, l’existence d’institutions telles la Cour des Comptes, le Conseil économique et social,  l’Institution Nationale Indépendante des Droits humains, le Médiateur de la République, qui ne s’acquittent pas pleinement de leur rôle, etc. Le vrai problème donc, ce n’est pas tant la constitution elle-même que sa non-application, sa violation, depuis son adoption en 2010.

Comme évoqué dans l’introduction, le processus de mise en place d’une nouvelle constitution sort carrément du droit. L’analyse qu’on peut en faire est fondée sur la théorie politique : « Puisqu’il n’y a pas de normes juridiques applicables, il s’ensuit que la manière dont il convient de mettre en place une Première Constitution relève de la théorie politique et non du droit. C’est une question de légitimité démocratique et il existe d’ailleurs à ce sujet des conceptions très différentes » (FAVOREU L., GAIA P., et aii, op. cit, p. 113).

Une conception répandue est celle qui consiste à soutenir qu’il est procédé à la mise en place d’une nouvelle constitution suite à certains évènements qui remettent en cause l’ordre juridique existant : la création d’un nouvel Etat, une guerre ou encore un changement de régime consécutif à une révolution (ACQUAVIVA J-C, Droit constitutionnel et institutions politiques, 10ème édition, p.63).  Ce qui explique, généralement, l’institution d’une période de transition pour assoir les bases de la future république. Toutefois, on ne peut pas dire qu’en France par exemple on était face à une révolution en 1958, mais devant une situation révélatrice de la fébrilité ou de l’insuffisance du régime juridique en vigueur caractérisé par une instabilité ministérielle qui avait fini par lasser les Français.

Il apparait à travers cette analyse furtive que le contexte de mise en place d’une nouvelle constitution en Guinée est inopportun. Si la constitution a pu résister au temps dans certains pays, ce n’est pas parce qu’elle est parfaite, d’ailleurs elle fait souvent l’objet d’amendements, c’est surtout parce que les hommes et femmes de ces pays ont compris que la constitution n’est pas « un jeu de construction que l’on peut monter ou démonter au gré des humeurs» (Jean-Louis DEBRE, ce que je ne pouvais pas dire, Points, 2017,  p.406).

Il convient de terminer cette réflexion par cet extrait de l’ouvrage de Jean-Louis Débré, ancien président du Conseil constitutionnel français : « Rencontre avec le Maire de Brazzaville, beau-fils du président du Congo. Je ne sais pas ce qu’il souhaite ni ce qu’il veut. Je ne le connais pas. J’ai cependant accepté de le recevoir. Il commence par me dire avec force et insistance son admiration pour de Gaulle, mon père et Chirac. Je m’attends donc à une demande exorbitante, sinon une promotion dans l’ordre de la Légion d’honneur. Non, il veut savoir en réalité comment modifier la constitution du Congo, pour permettre au président Sassou-Nguesso de se maintenir au pouvoir. Je ne vois pas en quoi je peux l’aider. Il me montre le texte de cette constitution qui explique sans ambiguïté que le président ne peut faire que deux mandats. Cette disposition ne peut être modifiée, ce qu’il voudrait pourtant faire. Ma réponse est claire. Ce n’est pas possible, si l’on veut respecter la loi. Et pour moi toute autre solution est exclue. L’entretien s’arrête là. » (Jean-Louis DEBRE, ce que je ne pouvais pas dire, Points 2017,  p. 388)

Par Augustin Mansaré, Doctorant à l’UCAD, assistant à l’université de Sonfonia  

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