… instinctivement, il décide de quitter le pays !
Tu sais ce que c’est un individu ?
C’est ce que tu ne peux couper, qui n’est pas coupable, que tu ne peux couper en deux sans le tuer !
Tu peux te séparer, tu peux divorcer, quitter tes enfants, ton travail, ta maison, mais tu ne peux divorcer de toi-même, ni t’abandonner, tu ne peux te quitter sans t’anéantir pour l’éternité.
Tu es Thiâ’nguel à perpette, en espérant que ça dure.
Tu n’es pas obligé de t’aimer, mais le jour où tu dois sauver ta peau, tu t’aimes, tu deviens malin et d’autant plus rusé que tu te sens menacé.
Ce n’est pas par charité avec toi-même quand, poursuivi par les hyènes, tu te réfugies dans le manguier. À ce moment, tu ne te poses pas de questions, tu réponds à l’instinct de survie, tu veux sauver ta peau. Ni la faim, ni la fatigue ne te feront descendre de ton arbre. À ce moment, tu suis ton instinct, tu es l’instinct, tu n’es qu’instinct, cette puissance intérieure qui te fait téter le sein de ta mère, qui te pousse à te multiplier, l’instinct par lequel l’antilope bondit de côté pour esquiver le lion affamé, l’instinct par lequel tu attrapes la main de l’aveugle qui va se faire écraser, l’instinct par lequel tu vis, par lequel tu jouis ! Le noble instinct qui ne s’encombre pas de réflexion, qui est méprisé à cause de ça alors que c’est lui qui t’alarme et te signale la puanteur du traître, l’instinct, c’est le lion en toi rugissant à la gloire de la survie. L’instinct auquel tu dois la vie, tu lui devras la survie. L’instinct lui dit : fuis, quitte le pays!C’était il y a 6 ans! le 14 juillet 2016!
Il a amené ses filles chez ses parents et leur as dit : à ce soir. Alors qu’il savait que son exil avait déjà commencé.
Il file vers le km 36 à la sortie de Conakry par des détours. Il a appris de ses expériences professionnelles aux Nations Unies que quand un danger nous guette, il faut toujours rester en mouvement. Alors, il passe en coup de vent chez une de ses sœurs, puis chez son oncle maternel… à ce soir… à ce soir…
Pendant ce temps, il reste en contact avec un ami qui s’occupe de la logistique de sa fuite. Au km 36, il va saluer son vieux maître de Coran et ui confie les clefs de la voiture en lui disant à tout de suite. Un autre ami le cueille près de là en voiture. Ironie: c’est un policier qui conduit. S’il savait qui il conduisait! Les kilomètres défilent. Il a la peur au ventre, peur d’être trahi.
On arrive à la frontière de la Sierra Leone, à Pamelap, où il saute dans un taxi. Direction: Freetown. Il dort par intermittence, cauchemar d’homme chassé, traqué, il avance dans l’incertitude la plus totale.
Le soir, caché par une famille, on lui sert un plat sauce feuille manioc, mais ça ne passe pas. C’est là, seulement là qu’il appelle sa femme pour lui annoncer sa fuite. Elle dit d’accord et raccroche par prudence sans poser de questions. Elle lui racontera plus tard qu’informant ses parents, son père stoïque,
se prend la tête entre les mains, sa mère disant « que Dieu le protège là où il est ».
A l’aube, l’ami lui envoie l’argent pour prendre un billet pour Dakar, décollage, escale à Accra,
redécollage… Dakar, quatre mois à dépendre des gens, à ne rien faire, à ruminer, à tourner en rond, à attendre un visa pour la France.
Un après-midi, alors qu’il est chez son beau-père, patriarche des Guinéens de Dakar, l’homme par qui le malheur frappa passe
saluer le vieux. Quel culot! Lui, son fossoyeur qui répète partout à la radio que la justice a été laxiste parce qu’elle l’a laissé fuir. Lui, son traqueur en chef, il lui tend la main. Quel culot! mais il la refuse bien sûr. L’oiseau de mauvais augure siffle au beau-frère qu’il doit rentrer. Folie d’un fou qui ignore qu’il est fou. Jour après jour, il se morfond. Heureusement, il trouve une petite occupation qui le distrait et permet de faire une demande de visa. Enfin accordé! Il file à l’agence prendre un billet pour la France… décollage… atterrissage… Lyon…
Le voilà sorti des griffes ! A bientôt, pays! Sûr qu’il reviendra, pays. Un jour, pays. Et il vous racontera Lyon. Et ses douleurs. Et ses doutes. Et ses bonheurs. Évidemment.