
Monsieur le Premier ministre, il y a plusieurs urgences d’interpellation, mais je passe pour le moment sur le politique, il y a plus urgent à mon avis. Ou du moins je vais vous parler cette semaine d’un aspect de la politique de santé de votre Gouvernement…
Tatakourou 2021, 15 morts plus une dizaine de blessés sur un site minier artisanal.
On a pleuré, on a geint, on a accusé.
Puis on est retombé dans nos travers habituels, rien ne s’est passé. La mort est tellement banalisée dans ce pays.
Seuls nos mères et pères pleureront toujours et se consoleront seuls, porteront seuls le deuil.
Monsieur le Premier ministre, votre ministère de la Santé peut faire mieux.
Il est temps qu’il fasse de la promotion de la santé, la priorité des priorités au niveau des communautés.
Qu’il cesse d’être une institution qui s’occupe plus des maladies (et comment !!!) que de chercher à améliorer et à maintenir la santé des populations.
Le risque de tomber malade ou de mourir à Doko n’est pas le même qu’à Mafara. Donc il est temps que les stratégies Top down, montées dans les bureaux climatisés ou lors des ateliers sans les premiers concernés cessent immédiatement.
Si la Guinée ne travaille pas à renforcer les communautés à l’identification des déterminants de leur santé…
Si la Guinée ne travaille pas à équiper les communautés en savoir, savoir-faire, et en matériel, pour qu’elles puissent gérer leur propre santé en étant de véritables partenaires du ministère de la Santé…
Si la collaboration intersectorielle ne prend pas franchement forme…
Alors, le ministère de la Santé ne devra plus dignement porter son nom. Il devra juste se contenter du titre de ministère de LUTTE CONTRE la maladie. D’être seulement une institution FOCALISEE sur les soins curatifs (dont la qualité, l’accessibilité, l’efficacité, la sûreté ont une très grande marge de progrès à faire…).
Oui, Il ne pourra porter que le nom de ministère de la Lutte contre la maladie et rien d’autre.
C’est douloureux de voir des femmes pleurer leurs enfants ou leurs maris parce que ceux qui devraient les accompagner à prévenir les maladies ont fait des choix stratégiques centrés sur les hôpitaux et les autres centres de santé. Là où les gens viendront dans des états assez avancés, mourir dans le dénuement total, en plongeant encore plus leurs familles dans la précarité.
Dans un pays comme la Guinée, il est irrationnel de rester dans l’hospitalocentrisme. Même si nous changeons leurs visages, les vraies choses se passent hors des murs de ces hôpitaux.
Demain nous pleurerons des jeunes qui mourront par traumatisme crânien, parce qu’ils ne portent pas des casques, parce que la politique en matière de sécurité routière est bafouée. Parce que le ministère des Transports, de la Sécurité publique, et de la Santé ne sont dans aucune logique de coopération franche, de transdisciplinarité et d’inter-sectorialité.
Demain nous pleurerons des filles et fils de ce pays qui mourront par intoxication liée aux pesticides et autres produits chimiques, parce que le ministère de la Santé, celui de l’Agriculture etc., ne travaillent pas ensemble franchement.
Dans quelques années, nous ne pourrons pas compter le nombre de jeunes malades mentaux, dépendants de l’alcool, de la drogue et ou de la cigarette, des jeux de hasard etc.
Parce que c’est plus flatteur d’inaugurer des bâtiments, des centres de soins, que de lutter contre les facteurs qui rendent les gens malades (à commencer par leur lieux de naissance, ce qu’ils mangent et boivent, leur lieu de travail, lieu de distraction, l’environnement de vie etc.).
Bien-sûr, ça va au delà de la mission du ministère de la Santé pour intéresser bien de secteurs. Et c’est là où vous êtes interpellé, en tant que coordinateur de l’action gouvernementale.
Doko, 15 personnes mortes…
Une fille ou un fils de ce pays encore pleurera, seul sous le saule pleureur. Je me demande si quelque chose changera.
Sauf… si la science remplace la pure politique politicienne qui finalement tue tout sur son passage, même la santé de nos populations, le bien le plus précieux d’un pays.
C’est hyper important de construire et de bien équiper nos centres de soins, de former des médecins, des pharmaciens, des paramédicaux et des spécialistes des problèmes de santé prioritaires du pays, et de bien les payer… (ce qui n’est pas fait), mais c’est profondément triste, profondément irrationnel de mettre la prévention, la promotion de santé, et la recherche au second plan… C’est simplement TERRIBLE, monsieur le Premier ministre, chef du Gouvernement.
Abdoulaye Sankara Abou Maco journaliste écrivain