La Guinée s’est réveillée avec la gueule de bois ce lundi, au lendemain d’un violent dimanche électoral. Les Guinéens étaient appelés aux urnes pour élire leurs députés et modifier leur Constitution. C’est surtout le changement constitutionnel qui cristallise les tensions depuis des mois. Le président Alpha Condé, 82 ans, caresse en effet l’ambition d’un troisième mandat, qui était proscrit sous l’ancienne Constitution. Aucune date n’a été communiquée pour l’annonce des résultats. La participation est à ce jour inconnue, alors que la Guinée est elle aussi touchée par le coronavirus avec les deux premiers cas déclarés.
L’opposition, qui boycottait ce double scrutin, a tenté d’empêcher le vote et les forces de sécurité ont riposté. Selon l’opposition, au moins dix personnes ont été tuées dimanche. Un bilan non confirmé par les autorités mais qui viendrait s’ajouter à la vingtaine de manifestants tués depuis le mois d’octobre et le début des troubles causés par l’hypothèse d’un troisième mandat d’Alpha Condé.
Pays de 11 millions d’habitants, la Guinée n’est sortie des régimes militaires que récemment, lorsque Alpha Condé, opposant historique, a accédé à la présidence en 2010. Il a ensuite été réélu en 2015. Il est à son tour traité de «dictateur» pour sa volonté de prolonger son bail à la tête du pays.
Records de longévité
Même s’il rempile, le président guinéen serait toutefois loin des records de longévité au pouvoir sur le continent. Champion en la matière, Teodoro Obiang Nguema, dont le fils a eu maille à partir avec la justice genevoise pour son train de vie extravagant, a pris la tête de la Guinée équatoriale en 1979. Paul Biya, un autre habitué des fastes du bout du lac, a été élu président du Cameroun trois ans plus tard. Le président camerounais a été reçu par cinq présidents français différents à l’Elysée, de François Mitterrand à Emmanuel Macron. Et il a connu neuf présidents nigérians. Sur la troisième marche du podium, le Congolais Sassou Nguesso cumule trente-cinq ans de règne.
A contrario, le président ivoirien Alassane Ouattara vient d’annoncer qu’il ne se représenterait pas au terme de ses deux mandats. Une bonne nouvelle dans la perspective de la présidentielle ivoirienne du mois d’octobre. Les Ivoiriens craignaient de subir la revanche du duel entre le président et son prédécesseur Laurent Gbagbo, tenté lui aussi par une candidature en octobre. Leur précédent affrontement électoral en 2010 avait précipité la Côte d’Ivoire dans le chaos.
«Pas de fatalité»
Les statistiques confirment que les chefs d’Etat africains passent en moyenne plus de temps au pouvoir que ceux dans le reste du monde. Pourquoi cela? «Il n’y a pas de fatalité, insiste Gilles Yabi, fondateur de Wathi, un think tank basé à Dakar. Chaque pays a son histoire propre. Les pays africains sont jeunes, de même que leurs institutions. Le profil du premier leader après l’indépendance est déterminant.»
Mais il y a aussi quelques constantes. En Afrique, l’accès au pouvoir conditionne encore trop souvent l’accès aux ressources du pays pour le chef d’Etat, ses proches, voire sa région. Voilà pourquoi il est si difficile pour les leaders africains de jouer l’alternance. «En Suisse, personne ne s’accroche au pouvoir parce que les avantages financiers ne sont pas aussi décisifs», compare Gilles Yabi.
Le poids de la société civile
L’Afrique est aussi influencée par une diversité de modèles. La démocratie occidentale est à la peine. D’autres acteurs que les anciennes puissances coloniales ont acquis des parts de marché sur le continent. C’est le cas de la Chine, qui propose une alternative autoritaire. «En Guinée, c’est plutôt la Russie qui a du poids. On ne peut pas compter sur Moscou pour convaincre le président Alpha Condé de ne pas se représenter», déplore Gilles Yabi.
La bonne nouvelle, conclut le politologue béninois, est l’émergence de la société civile africaine. «Elle est déterminée à ne pas laisser faire les vieux chefs d’Etat.» Depuis que le président Alpha Condé prépare le prolongement de son règne, les manifestations se sont multipliées en Guinée. Elles ne vont pas se calmer après le référendum de ce dimanche.
Par Simon Petit le https://www.letemps.ch/
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