Politique

L’impact économique du Rugby en territoire, l’exemple de Tarbes

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Un défilé d’enseignes abandonnées et de parkings jonchés d’herbes folles… un paysage désormais classique d’entrée de villes de province touchées de plein fouet par la crise, la vraie, celle qui dépeuple les usines, brise des familles et consacre l’exode vers d’autres horizons… Tarbes a connu des jours meilleurs, celui notamment de l’âge d’or de l’Atelier de construction (ATS), qu’on appelle encore ici l’Arsenal ; une époque où cette ville était un centre névralgique de l’industrie du grand sud-ouest, derrière ses grandes sœurs Toulouse et Bordeaux, au même titre que les mines de Carmaux ou les tanneries de Mazamet, autres hauts lieux rugbystiques désintégrés par la crise.

La préfecture du département des Hautes-Pyrénées a connu la même trajectoire que beaucoup d’autres villes moyennes de province : une désindustrialisation forte accompagnée d’une tertiarisation de ses emplois, parfois au détriment des intérêts économiques locaux. Cette crise a en même temps contaminé ce qui faisait un de ses fleurons, son club de rugby, le Stadoceste tarbais. L’histoire de la ville de Tarbes et de son club de rugby illustre bien les mutations à la fois de l’environnement économique et du monde du rugby professionnel en France. Son actualité soulève aussi des questions plus générales concernant tant les perspectives d’avenir émergentes au sein des villes moyennes, que le futur des clubs sportifs de ces villes.

Fief ouvrier et terre de rugby : une époque bénie

Tarbes démarre véritablement son développement industriel à partir des années 1870, confirmant sa vocation militaire, elle qui a vu naître le maréchal Foch, commandant en chef des armées durant la Première Guerre mondiale. Et c’est encore un général – Verchère de Reffye – qui, en 1871, décide d’installer à Tarbes une industrie de l’armement à la place d’un magasin de tabac.

Tarbes est sur la route impériale reliant Bordeaux à Campan, proche de la nouvelle ligne des chemins de fer du Midi et surtout loin de la Prusse et du front de guerre. Au début du XXe siècle, le site de l’Arsenal emploie ainsi près de 2 500 personnes. Cette manufacture va devenir à la fois l’orgueil et le poumon de la ville, et surtout le principal pourvoyeur d’emplois de ses grands alentours.

Dès les années 1920, d’autres économies fleurissent comme la fonderie des cloches Fourcade, l’industrie de l’ameublement dont la réputation s’étend à la France entière et à ses colonies, les Ateliers de l’Adour (usines Gache) spécialisés dans les forges, la Compagnie générale d’électro-céramique ou encore les Constructions métalliques des Pyrénées. Mais ce sont surtout les Constructions électriques de France (ancêtre de Alsthom) qui deviennent le deuxième atout économique avec l’Arsenal, à l’autre extrémité de la ville. En 1922, elles livrent leur première locomotive et par la suite, grâce à leurs 1 700 employés, approvisionneront régulièrement la Compagnie des chemins de fer du Midi.

Côté rugby, le Stadoceste Tarbais voit le jour en 1902 à la suite de la fusion des deux clubs de la ville, le « Stade tarbais » où l’on pratiquait le rugby, et le « Ceste » où l’on s’adonnait plutôt à la boxe et l’escrime. À l’origine, le nom du club était le Stade Ceste puis une erreur de prononciation d’un soldat du premier régiment de hussards conduira à cette drôle d’appellation, le Stadoceste. Le club est alors dirigé par la classe bourgeoise, dont l’un des membres laissera une marque indélébile dans l’histoire du club, Jules Soulé, pour avoir présidé le club de longues années, donné son nom à un stade (avant l’actuel Maurice Trélut) et… dilapider sa fortune au nom de sa passion.

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La nouvelle entité s’installe rapidement dans le paysage du rugby français, en perdant deux demi-finales lors des saisons 1909-1910 et 1910-1911. En 1914, les Tarbais échouent en finale contre Perpignan. Les premiers trophées arrivent avec la victoire 4 à 3 contre Bayonne en 1919 en Coupe de l’Espérance, sorte de championnat espoirs pendant que les seniors s’extirpent à peine d’un jeu de tranchées beaucoup plus cruel. En 1920, le Stado touche le Graal avec son premier championnat de France conquis contre le Racing Club de France sur le score de 8-3. Les journalistes parisiens évoquent alors « l’ours tarbais » et son emblématique représentant, René Caujolle.

Dans la période des « trente glorieuses » (1945-1975), Tarbes continue à développer un important prolétariat industriel, ne se cantonnant pas aux « arsenalistes » mais embrassant toute la ville et sa périphérie. Ce phénomène trouve son origine dans l’exode rural mais aussi dans le déclin de certaines branches artisanales traditionnelles comme le textile. Tarbes, qui compte en 1968 plus de 55 000 habitants contre environ 40 000 aujourd’hui, reste aussi un lieu intense d’échanges commerciaux entre la « plaine » et la « montagne » avec le marché Marcadieu de la ville qui draine très large. En même temps, sa vocation militaire lui permet de « profiter » des guerres de Corée et d’Indochine et de l’essor des ventes d’armement à l’étranger. C’est aussi au cours de cette période que Tarbes connaît une impulsion urbaine sans précédent qui fera quasiment doubler sa population.

Dans cette même période du rugby d’avant-professionnalisme, le Stado va à nouveau côtoyer les sommets, avec notamment une finale perdue contre Carmaux en 1951, une demi-finale également perdue contre Lourdes en 1968. La légende se poursuivra encore jusqu’en 1973 avec un dernier titre de champion de France obtenu aux dépens de l’US Dax.

Une lente descente aux enfers

Quelques soubresauts dans les années 1980, avec notamment une finale perdue contre Agen en 1988, ne peuvent masquer le lent déclin subi tant par la ville que par son club. Tarbes a perdu sa dominante ouvrière et entame inconsciemment le début de sa vulnérabilité avec l’exode de sa jeunesse qui ne trouve plus sur place les emplois correspondant à ses qualifications. En parallèle, l’expansion du secteur tertiaire permet à Tarbes de profiter de la concentration des services. Les ouvriers sont remplacés par les classes moyennes tandis que les cabinets immobiliers, d’assurance, les agences bancaires ou de travail intérimaire fleurissent un peu partout dans la ville à la place des commerces de proximité, qui sont eux remplacés par les grandes surfaces au sein des zones suburbaines. En même temps, les succès rugbystiques se raréfient…

Les années 1990 marquent le début de l’ère professionnelle du rugby tandis que le désarmement progressif des états annonce des budgets militaires en peaux de chagrin. C’est la signature de l’arrêt de mort pour la ville. L’Arsenal voit son activité se réduire drastiquement pour devenir le GIAT puis fermer définitivement en 2006 pour laisser place à une zone commerciale et hôtelière.

Excentrée, Tarbes souffre de la présence de grosses industries implantées pour des causes stratégiques anciennes et confrontées désormais à des impératifs de restructuration éloignés des intérêts économiques locaux.

Sous l’impulsion des acteurs politiques locaux, le club de rugby est sauvé en 2000 mais selon un schéma quelque peu alambiqué : il fusionne avec celui de Lannemezan, ville distante de 35 kilomètres, qui accède cette année-là à la Pro D2, la seconde division d’élite. Or, faute de finances suffisantes et pérennes, Lannemezan a toutes les chances de se voir refuser cette accession par la Ligue Nationale de Rugby. En mai 2000, est créé le LT 65 (Lannemezan Tarbes Hautes-Pyrénées). Mais la prédominance de Tarbes dans cette fusion marginalise peu à peu le partenaire lannemezanais, qui décide de sortir de l’association en 2003. C’est l’accouchement du TPR (Tarbes Pyrénées Rugby).

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Système à deux vitesses

En accédant au deuxième niveau de l’élite du rugby français, le TPR va s’enorgueillir d’un record, celui du nombre d’années de présence à ce niveau. Faut-il y voir une marque de stabilité ou une absence d’ambition ? Tenter de répondre à cette question revient à s’interroger sur la place d’une ville de 40 000 habitants dans le paysage actuel du rugby français, mais aussi à l’échelle plus large de l’économie française. Ainsi, le début de l’aventure du TPR en Pro D2 est plutôt une réussite. Dès sa première saison, il atteint la finale, qu’il perd après prolongations (25-21) contre Montpellier, club qualifié à l’époque d’OVNI amateur. L’histoire contredira très largement ce jugement, illustrant au passage la métamorphose en cours du rugby français.

En effet, le rugby n’a pas attendu le professionnalisme pour se développer dans les zones urbaines les plus dynamiques et peuplées. Si l’on repère dans le palmarès des vingt dernières années quelques exceptions (Castres et ses 40 000 habitants ou Biarritz et ses 30 000 habitants), la tendance est paradoxale entre réduction de la taille de l’élite et massification du public. Un système à deux vitesses apparaît, entre ceux qui peuvent dégager des recettes d’exploitation élevées tout en bénéficiant encore du soutien de leurs actionnaires, et ceux qui n’ont d’autres choix que de maîtriser leurs charges d’exploitation sous peine de disparaître. Pour ces derniers, le modèle est très (trop ?) fragile comme en témoignent les situations économiques de plus de la moitié des clubs de Pro D2 et de la plupart de ceux de Fédérale 1. La dépendance financière vis-à-vis des institutions politiques locales (mairie, département, région) est même devenue un très mauvais signal envoyé à la Ligue et ses organes de surveillance.

Le 24 novembre 2015, devant les graves difficultés financières du club de Tarbes, la Ligue nationale annonce de lourdes sanctions : retrait de 15 points et rétrogradation administrative en fin de saison. Malgré un appel aux dons qui rappelle l’attachement des Tarbais à leur club, le trou ne sera pas comblé. Le TPR évite malgré tout la Fédérale 2 en ne terminant pas dans la zone de relégation mais est contraint de descendre en Fédérale 1. Le TPR bataille alors contre des équipes dont il avait oublié le nom, voire qui n’existaient pas au temps de sa splendeur : Massy, Nevers, Bourg-en-Bresse… Il reste encore le club le mieux classé de Bigorre mais son avenir reste fragile et incertain.

On lui interdit encore de se mêler à la lutte pour les places d’accession à la Pro D2, toujours pour des raisons financières.

Cette histoire est celle de nombreuses autres villes dont la renommée sportive parvenait parfois même à dépasser nos frontières : Béziers, Lourdes, Mont-de-Marsan… Si elle nous alerte quant au virage emprunté par le rugby depuis deux décennies (médiatisation, spectacle, argent), elle interroge quant à la cohérence et la viabilité des politiques économiques et sociales menées dans ces villes.

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Par Julien BatacMaître de conférences, Université de Bordeaux

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation



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