Pour favoriser la délibération démocratique, la société guinéenne que nous envisageons, à l’opposé de celle dans laquelle la liberté est soumise aux lois mafieuses ensanglantant les mœurs, croit aux vertus du débat contradictoire car l’important dans le débat politique, c’est surtout de confronter les idées et libre à chacun de faire son choix.
Aujourd’hui, le seul choix qui s’impose aux Guinéens, c’est d’en finir une fois pour toute avec la dictature.
L’état de délabrement extrême de notre pays et de ses institutions conjugué aux violations systématiques de la Constitution renforce ma conviction selon laquelle la Guinée se dirige tout droit vers un naufrage sans précédent. L’effet immédiat de la rupture de confiance entre le peuple et le pouvoir en place, dans un contexte local particulier où les institutions publiques et une partie de la société civile sont reléguées à un rôle de second plan, c’est naturellement le renforcement de la menace d’effondrement de notre société.
Comble de l’ignominie, les piètres performances de M. Alpha Condé en matière de droits de l’homme et de respect de la primauté du droit ne semblent pas mettre en sourdine ses velléités machiavéliques.
Fin manipulateur, M. Alpha Condé a réussi à se hisser au sommet de l’Union africaine (U.A.) sans en réunir les critères fondamentaux de leadership. Selon certaines indiscrétions, il serait en passe de servir de médiateur dans des crises similaires à celles dont il est à l’origine dans son propre pays. Cette tendance des institutions africaines à promouvoir l’impunité est une parfaite illustration du déficit alarmant de leadership en Afrique. Que faisons-nous de la méritocratie, de la démocratie, de la justice et du respect de la dignité humaine ? L’Afrique noire a besoin non seulement de repères, mais aussi d’une nouvelle génération de leaders pouvant hisser le continent dans la sphère des pays émergents.
La notion selon laquelle M. Alpha Condé a remporté les deux dernières élections présidentielles en Guinée est une grave insulte à la démocratie et aux martyrs d’un changement qui peine à s’installer. La loi des urnes est dure, mais elle révèle l’expression de la volonté du peuple. Il faut donc veiller à l’application et au strict respect des dispositions de la loi électorale. Si entre les deux tours de « l’élection » présidentielle de 2010 il a pu installer une administration parallèle en vue de truquer le vote à son propre profit, ce n’est pas en étant à la tête de l’État qu’il va perdre une élection. Le coup K.-O. de 2015 en est un exemple illustratif.
Le paroxysme de l’arrogance, c’est lorsqu’un chef clame qu’il ne peut pas organiser des élections et les perdre. Cette vanité d’un leader qui ne peut recueillir plus de 15 % des suffrages en cas d’élections véritablement démocratiques est une insulte au peuple qui vaut son pesant de bassesse. Rien ne symbolise plus le manque de crédibilité de nos institutions que le tripatouillage du processus électoral.
La fraude électorale est une oppression, une entorse à l’ordre républicain au même titre que la barbarie des forces de sécurité – commanditée par les pouvoirs publics –, car elle porte atteinte à la liberté des citoyens. Il est donc crucial de rappeler que le libre choix par les citoyens de leurs leaders est un facteur fondamental de stabilité sociopolitique et un remède contre la pauvreté de masse.
Le décryptage de la supercherie du dernier « recensement » démographique en Guinée est illustratif de la mauvaise foi d’un pouvoir dont la seule inspiration est le pire. Cette offense à la déontologie administrative pose de sérieux problèmes de crédibilité de nos institutions publiques et de représentativité dans la perspective des futures élections du fait, notamment, des possibilités de manipulations dans l’éventuelle correction du fichier électoral. Selon un dicton populaire, « mieux vaut perdre avec honneur que de gagner en trichant ».
La fraude électorale est la manifestation d’un sentiment d’impuissance, car lorsqu’un chef est convaincu de sa propre popularité, il n’a pas besoin de modifier la réalité démographique du pays en sa faveur ou de s’opposer à la correction du fichier électoral sur la base des accords conclus avec les partis politiques. Il doit laisser au peuple le choix absolu de ses gouvernants. Le pouvoir central étant une mafia, et la Guinée étant une oppression, le chef souverain n’en fait qu’à sa guise sous l’œil quasi indifférent des Guinéens.
Tant que nous continuerons à adhérer à un clan ou à des hommes (qui traditionnellement n’ont pas à cœur le développement du pays) plutôt qu’à une idéologie salvatrice, nous resterons dans l’ornière. Aujourd’hui, les Guinéens doivent apprendre à s’épanouir des partis politiques et à avoir le courage de leurs idées en s’engageant à définir une nouvelle trajectoire politique, économique et sociale noble grâce à la mise en place d’un mouvement politique émancipateur à l’instar de celui d’Emmanuel Macron. La jeunesse guinéenne, consciente des scandales politico-économiques quotidiens et de la violation récurrente de la Constitution qui entrave le processus de développement du pays, en a marre !
Quelle conception de la gouvernance transmettons-nous à la relève de demain en dépouillant le peuple en toute impunité ? Quel héritage un pouvoir laisse-t-il aux générations montantes en reniant au citoyen son droit constitutionnel de choisir ses propres leaders ? On ne peut pas vivre dans l’immoralité et s’ériger en chef. En matière de gouvernance, l’accent doit être mis sur l’héritage qu’on laisse au peuple.
Cet héritage se mesure en termes de transformations sociales et politiques que nous aidons à forger à la confluence des traditions locales et de la modernité : une société qui soit pétrie de valeurs morales, d’intégrité, de tolérance, de respect, d’inclusion, de modestie, de qualités professionnelles et humaines, et d’une conscience citoyenne.
Cela traduit la nécessité d’opérer un changement profond dans les modes de gouvernance et de militantisme politique en Guinée. Malheureusement, ce processus a toujours été entaché de velléités communautaristes et d’un manque criant de leadership de la part des dirigeants et de « mbatulas » en manque d’inspiration.
Le leader politique compétent, patriote et intègre, c’est celui qui passe des paroles aux actes en adoptant une attitude fondée sur le principe d’utilité nationale. Le discours de la honte que M. Alpha Condé a tenu à Abidjan, sur le panafricanisme, est une grave insulte aux indépendantistes africains et au peuple noir d’Afrique en général.
Un discours hypocrite et particulièrement ingrat à l’endroit de ceux qui l’ont frauduleusement propulsé à la magistrature suprême en 2010. Durant sa tenure à la tête du pays, des conglomérats ou lobbies étrangers motivés par l’appât du gain, dans un contexte non compétitif, s’attirent l’affection d’un président – qui a acquis et retient le pouvoir par la fraude – pour s’adjuger des gains substantiels de parts de marché en échange desquels ces lobbies lui garantissent la pérennité de son œuvre machiavélique. Dans ces conditions, nous sortons du cadre légal des affaires au profit d’intérêts mercantiles pour adopter une pratique grossière qui s’oppose à la démocratie et à l’aspiration à la souveraineté nationale.
Dans la foulée de l’arrogance du régime, la mafia politique a engendré celle de l’argent ; la souveraineté du pays est transférée à une minorité prédatrice de manière illicite ; le peuple est spolié de son droit de vote qui lui donne le contrôle sur l’exécutif ; les bras valides du pays sont marginalisés au profit des fossoyeurs de la République de haute stature pendant que la précarité gagne de plus en plus de terrain.
À la limite, nos leaders se mettent au-dessus de la loi qui est imposée au peuple pour les intérêts personnels des premiers et leurs amis (qui les aident à se convaincre de leur bonne foi) au mépris de la Constitution et des valeurs qui sous-tendent notre société. Victime de la suprématie de la médiocrité, de la haine, du mensonge, de l’incivilité et de la mauvaise foi, notre pays peut repartir du bon pied en se débarrassant des mauvaises influences internes et externes.
Comment peut-on parler de souveraineté nationale ou de panafricanisme dans un pays où les fruits de l’effort des populations sont pompés par une minorité, prédatrice et rentière, préoccupée par la pérennité de ses intérêts étroitement liés au pouvoir ? D’une manière générale, créer des liens avec l’extérieur est essentiel au transfert de technologie et par ricochet au développement.
En Afrique, cela ne devrait être rien d’autre que la création d’une économie locale vibrante capable d’attirer les investissements privés dans les conditions équitables d’exploitation et de partage des richesses. Par exemple, en vertu de sa position de leader mondial dans l’exploitation de la bauxite et compte tenu de la richesse de son sous-sol, la Guinée aurait pu faire des miracles dans ce domaine. C’est en cela, et compte tenu des incohérences doublées des contradictions absolument délirantes de M. Alpha Condé que le discours soi-disant « panafricain » de celui-ci est hypocrite et vide de sens.
Aujourd’hui, il appartient au peuple, dans toute sa dimension ethnique, politique, socioprofessionnelle et culturelle, symbole de l’unité et de la souveraineté populaire, de se prendre en charge en entreprenant d’indispensables efforts de mobilisation qui permettront à celui-ci de restaurer sa dignité perdue. Autrement dit, un peuple spolié a droit à la légitime récupération de ses droits en
« s’érigeant en défenseur des libertés individuelles et en rempart contre la violation de la Constitution ».
Tout citoyen mû par la justice sociale, l’unité et la solidarité, se doit d’appuyer les initiatives qui visent à lui rendre sa dignité.
Convaincu du devoir qui nous incombe de montrer l’exemple à nos aînés, ces marchands d’illusions qui ont manifestement raté leur rôle de garants des valeurs morales que la société leur attribue, j’en appelle au sens du patriotisme et de la responsabilité de tous les jeunes cadres et citoyens ordinaires guinéens (de toutes tendances ethniques ou socioprofessionnelles) dans la lutte contre les maux qui affligent notre société. En nous désolidarisant du pouvoir et des partis politiques, nous évitons d’assurer
« l’apothéose du mal mis à profit par des velléités personnelles injustifiées de nos leaders qui imposent toutes sortes de rituels légués par une tradition politique irrationnelle ».
Le choix de l’appartenance à la nation doit l’emporter sur les considérations ethniques superficielles.
Face à une gouvernance dysfonctionnelle mise à profit par des leaders sans scrupule et des prédateurs déstabilisateurs motivés par l’appât du gain, le peuple doit faire front commun pour lutter contre l’anarchie. Il est impérieux que le citoyen prenne conscience du danger que représente, pour l’unité nationale et le développement, le déclin des mœurs (politiques, économiques et culturelles) dans le pays et qu’il récuse l’idéologie machiavélique que celui-ci véhicule afin que chacun puisse se réapproprier son propre rôle dans la défense de la démocratie. Selon la théorie de l’éthique militaire,
« un peuple qui a le sentiment de vivre dans une société qui lui rend justice sera plus motivé à défendre cette société contre les menaces (internes et externes) qui pèsent sur elle ».
Ces hommes ou femmes politiques que certains d’entre nous vénèrent, ou ces leaders qui nous font croire à leur pouvoir de domination, sont faits de chair et de sang comme nous autres citoyens ordinaires. À ce titre, ils sont soumis aux lois de la République au même titre que le commun des mortels.
Alors, arrêtons la mystification idéologique de la fonction d’homme politique en tenant nos leaders responsables de leurs propres actes. Ce contexte témoigne de la nécessité de réfléchir à l’émergence d’un mouvement politique indépendant qui pourrait pleinement représenter les intérêts du peuple avec assez de courage et de conviction pour mettre fin aux velléités personnelles injustifiées de nos leaders politiques.
En effet, la Guinée regorge de jeunes talents et de cadres de conviction qui pourraient pleinement jouer leur rôle d’influence en vue d’assurer un conseil exécutif opérationnel et efficace. Il n’y a pas en démocratie un principe en vertu duquel le mauvais est préférable au pire. Cela signifie que notre combat, c’est de faire en sorte que tous ceux qui soumettent notre liberté aux lois mafieuses qui ruinent nos aspirations démocratiques et économiques débarrassent le plancher. Pour cela, nous devons mettre un dispositif stratégique en place pour préparer la nouvelle relève politique.
Quelle que soit la démarche ou la solution envisagée, nous devons, en tant que peuple souverain, nous mobiliser pour aider à établir les normes et les règles d’une société équilibrée dans laquelle les leaders politiques ne sauraient transgresser les règles du jeu démocratique. N’en déplaise aux esprits malveillants, l’ennemi de la nation ce n’est pas le voisin kissi, malinké, peul, soussou, toma, etc.
Le danger dans la construction d’une société libre et prospère, ce sont les hommes et femmes politiques sans scrupule, les opportunistes, l’incompétence, les manipulateurs, les mauvaises influences étrangères et, non des moindres, le manque de cohésion sociale devant l’injustice. Pour sauver la Guinée de la dérive sanglante des fractions mafieuses de nos pouvoirs politiques, nous devons nous organiser, adopter une démarche pacifique et démocratique de la récupération de nos droits, être solidaires les uns envers les autres et apprendre à nous battre pour l’idéal démocratique et non pour une ethnie, un parti politique ou un individu.
Plus particulièrement, la génération montante de cadres ou de jeunes leaders ne doit pas tomber dans l’obsession narcissique du leader bourgeois qui fait trimer le peuple en coulisse. En réduisant nos velléités opportunistes, nous pourrons créer les meilleures conditions d’un développement harmonieux et durable. Pour cela, j’en appelle à la consolidation des mouvements sociopolitiques et à la mutualisation des efforts pour plus d’efficacité, car on ne peut pas lutter contre la tyrannie en rangs dispersés.
L’enthousiasme qui pourrait se dégager autour d’un mouvement réformiste patriote va contribuer à la création d’un système judiciaire véritablement indépendant, d’une CENI apolitique et indépendante, et d’une société civile aux initiatives transpartisanes qui vont servir de rempart contre les abus de pouvoir.
Cette solution doit s’inscrire dans une dynamique de transparence du processus politique dans laquelle la classe politique actuelle, de nature complètement déconnectée du peuple qu’elle doit servir, accepte de faire son mea-culpa. En d’autres termes, nous devons attaquer le mal à la racine et articuler une nouvelle vision pour la patrie dans le cadre d’une conférence nationale sur la gouvernance, sans langue de bois. Il s’agit, dans cette démarche, de faire l’évaluation de nos dirigeants et de nos institutions un véritable outil de stabilité politique et de développement socio-économique.
À mon sens, aller aux élections en 2020 dans les conditions actuelles de gouvernance ne ferait que légitimer un autre pouvoir inconstitutionnel ou, le cas échéant, réhabiliter un système de gouvernance qui a prouvé ses limites. Faire de l’approche participative et inclusive de la démocratie un préalable à tous pourparlers politiques doit être le cheval de bataille de tout mouvement sociopolitique.
Autrement dit, dans ses formes actuelles le système politique guinéen et la loi électorale (taillée sur mesure pour assurer la pérennité du pouvoir d’un clan) sont aux antipodes du développement démocratique et économique de la Guinée.
Pour des raisons d’équité, d’inclusion, d’impartialité et d’efficacité du système, il faut s’efforcer de réformer la loi électorale et le mode de scrutin, puis à briser le quasi-monopole des deux principaux partis politiques sur le champ politique local en favorisant les candidatures exécutives et législatives indépendantes.
Cela exige en premier lieu la prise de conscience par les citoyens et les mouvements sociopolitiques des dangers du maintien par l’actuel exécutif de son monopole inconstitutionnel de tous les terrains d’actions politiques qui ne relèvent pas de ses attributions.
Au final, retenons cette bonne vieille expression d’Albert Einstein : « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal mais par ceux qui les regardent sans rien faire ».
Thierno Aliou BAH
MSc, MBA
Contact : cgeprogres@gmail.com
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