
Pêche en Guinée et Sénégal : vers une alliance stratégique pour préserver les ressources halieutiques et stimuler l’économie régionale
La Guinée consacre près de 4 % de son PIB à la pêche, un secteur générateur de 400 000 emplois et porteur d’un potentiel estimé à plus de 300 000 tonnes annuelles, dont la moitié seulement est exploitée. Face à l’appauvrissement des stocks, à la pêche illicite non déclarée et non réglementée (INN/IUU), Conakry et Dakar scellent un accord bilatéral historique en avril‑mai 2025. Fruit d’une volonté conjointe de renforcer souveraineté alimentaire, sécurité des pêcheries et retombées économiques, ce protocole s’inscrit dans une ambition régionale de gestion durable des ressources marines.
I. Le poids macro‑économique du secteur halieutique
1. En Guinée : un secteur sous-exploité mais prometteur
D’après le ministère guinéen de la Pêche, le secteur halieutique génère environ 4 % du PIB, soit quelque 400 000 emplois directs et indirects, pour un potentiel annuel estimé à plus de 300 000 tonnes, dont seulement 150 000 tonnes exploitées. Ce décalage révèle un sous‑emploi structurel d’un gisement halieutique pourtant significatif.
Selon la Banque mondiale, la pêche en Guinée représentait 3,7 % du PIB en 2019, et employait plus de 200 000 personnes (34 532 pêcheurs artisanaux, 25 000 acteurs de commerce/procession) ; l’IUU était estimé causer une perte de 20 millions USD par an.
2. Au Sénégal : poids économique et fragilités structurelles
Au Sénégal, la pêche représente selon diverses estimations entre 3,2 % et 3,7 % du PIB, emploie plus de 600 000 personnes, et produit annuellement autour de 450 000 tonnes, pour une valeur exportée dépassant les 400 millions USD (10 % des exportations).
L’importance de la pêche dans l’économie sénégalaise est renforcée par sa contribution au revenu extérieur, à l’emploi et à la sécurité alimentaire, mais n’est pas sans vulnérabilité : stocks en déclin, littoral fortement exploité, et concurrence entre pêche artisanale locale et flottes industrielles étrangères.
II. L’enjeu de l’IUU fishing : pillage, emploi et sécurité alimentaire
1. Le fléau de la pêche illégale
L’IUU (illegal, unreported, unregulated) représente une menace majeure dans les eaux ouest-africaines. On estime les pertes économiques globales à 25–50 milliards USD par an, dont jusqu’à 4 milliards USD en recettes fiscales perdues. Dans la région, un bateau illégal peut générer jusqu’à 3 millions USD de pertes par an, et au Sénégal, l’IUU a déjà atteint l’équivalent de 2 % du PIB en 2012.
En Guinée, les flottes illégales, jadis évaluées à 13 % de la flotte légale en nombre, réalisaient 63 % des captures légales, selon des estimations datant de 2006.
2. Conséquences sociales et alimentaires
La dégradation des stocks entraîne la paupérisation des pêcheurs artisanaux : perte de revenus, concurrence déloyale, baisse de la consommation protéique. Au Sénégal, un rapport révèle que 57 % des stocks de poissons sont en état critique, et que la proportion de navires sous contrôle étranger atteint 43,7 %. La consommation par habitant a chuté de 29 kg à environ 17,8 kg/an.
L’IUU a provoqué la perte de plus de 300 000 emplois artisanaux en Afrique de l’Ouest. Ces impacts globaux fragilisent la sécurité alimentaire, poussent à l’émigration et affaiblissent la cohésion sociale.
III. Le protocole de coopération Guinée-Sénégal : objectifs et leviers
1. Naissance de la coopération bilatérale
Au printemps 2025, les ministres des Pêches du Sénégal et de la Guinée, respectivement Dr Fatou Diouf et Fatima Camara, ont signé à Conakry un protocole stratégique en vue d’une coopération durable dans la pêche et l’aquaculture.
Ce protocole — suivi d’un accord d’application signé à Dakar ou Conakry — formalise la surveillance conjointe des zones économiques exclusives, la protection des acteurs artisanaux et industriels, la formation, la recherche et contrôle sanitaire des produits halieutiques.
2. Objectifs structurants
Le partenariat vise à :
- superviser efficacement les opérations de pêche via des patrouilles communes ;
- renforcer la gouvernance par la transparence des licences et des captures ;
- renforcer les capacités techniques (formation, équipements, contrôle qualité) ;
- encourager l’aquaculture comme alternative pour alléger la pression sur la pêche sauvage ;
- renforcer les débouchés régionaux pour la pêche artisanale.
IV. Analyse approfondie : bénéfices économiques et perspectives
1. Gouvernance et transparence
La coopération mutuelle permettra d’élaborer un cadre réglementaire plus harmonisé face à un marché illégal transfrontalier. L’intégration de formations partagées et la participation des communautés locales favorisent une modélisation plus inclusive.
Au Sénégal, la récente « carte jaune » délivrée par l’Union européenne pour irrégularités dans le contrôle des pêcheries surnommés “yellow card” illustre ce besoin urgent de transparence. Le pays a été pré-identifié comme non-coopérant face à l’IUU, notamment sur les déséquilibres entre capture déclarée et exportée (un navire déclarant 10 t mais exportant 311 t).
2. Formation et recherche : vers une professionnalisation régionale
Le protocole prévoit des programmes de formation croisée, tant pour les pêcheurs que les agents de surveillance ou les techniciens en aquaculture. La mise en place de laboratoires sanitaires portuaires renforcera la valeur de marché des produits locaux, notamment sur les débouchés européens ou ouest-africains.
3. L’aquaculture comme solution durable
Face à la surexploitation des stocks sauvages, l’aquaculture constitue une alternative stratégique. Guinée et Sénégal possèdent des zones côtières propices (estuaires, mangroves, zones calmes) encore peu exploitées. L’accroissement de fermes marines et lacustres pourrait contribuer à diversifier l’offre halieutique, à stabiliser les revenus et à renforcer la sécurité alimentaire locale.
4. Impacts socio-économiques positifs
- Création d’emplois nouveaux dans la filière aquacole, la transformation et le conditionnement.
- Valorisation accrue des captures locales via un meilleur contrôle qualité et des certifications export.
- Amélioration des recettes fiscales via une lutte plus efficace contre l’IUU.
- Réduction des pressions migratoires forcées, notamment en direction des Canaries ou de l’Europe, comme rapporté au Sénégal.
V. Obstacles et défis persistants
1. Infrastructures et capacités limitées
Tant en Guinée qu’au Sénégal, le manque d’infrastructures modernes (ports de pêche, frigos, marchés, laboratoires) reste un frein majeur. Les investissements communautaires ou internationaux, via des projets comme WARFP (Guinée) ou PESCAO (Sénégal), sont essentiels pour relever ce défi.
2. Coordination régionale complexe
L’accès aux flottes étrangères et aux licences reste soumis à des logiques diplomatiques, parfois opaques. Au Sénégal, la suspension du protocole de pêche avec l’UE à partir de novembre 2024 (après un accord initial signé en 2019) montre la fragilité du système si les conditions de traçabilité ne sont pas respectées.
3. Résistance des acteurs industriels
Les intérêts des grandes flottes étrangères (Chine, Espagne, Russie) restent puissants. Ceux-ci utilisent souvent des techniques destructrices (chalutage de fond, mailles fines…), causant la détérioration des habitats marins et l’effondrement des stocks.
4. Enjeux environnementaux et climatiques
Le changement climatique impacte les upwellings et les cycles biologiques des espèces ciblées. L’adaptation à ces changements nécessite des approches scientifiques partagées et des politiques d’ajustement rapide pour les pêcheurs.
VI. Perspectives à moyen et long terme
1. Gouvernance renforcée
La coopération Guinée‑Sénégal peut devenir un modèle de gestion régionale intégrée des pêcheries si elle s’appuie sur la transparence, la participation communautaire et la mutualisation des moyens (systèmes d’information, zones de surveillance partagées).
2. Recentrage sur l’aquaculture et la transformation locale
Investir dans l’aquaculture et les infrastructures de transformation permettra aux deux pays de capter davantage de valeur ajoutée. Cela limitera également la concurrence défavorable des captures sauvages illégales.
3. Possibilités d’élargissement régional
En s’appuyant sur ce partenariat bilatéral réussi, d’autres pays ouest-africains (Guinée-Bissau, Sierra Leone, Mauritanie…) pourraient rejoindre une plateforme régionale de gestion halieutique partagée, améliorant la coordination face aux flottes étrangères.
4. Bénéfices sociaux durables
Un développement inclusif du secteur favoriserait l’emploi des jeunes, la sécurité alimentaire locale et la stabilisation des zones côtières. Les communautés artisanalement dépendantes des ressources halieutiques seraient mieux armées face à l’incertitude économique.
Coopération signé en 2025
L’accord de coopération signé en 2025 entre la Guinée et le Sénégal marque un tournant dans la gestion des pêcheries ouest-africaines. Face à des défis communs — sous-exploitation, pêche illégale, dépendance des flottes étrangères, instabilité des stocks — ce partenariat offre une voie prometteuse vers une gouvernance régionale fondée sur la transparence, la formation, l’aquaculture et la valorisation locale.
En renforçant les capacités de surveillance, en développant l’aquaculture et en structurant une coopération durable, Conakry et Dakar adressent simultanément des enjeux économiques, sociaux et environnementaux. Reste à mobiliser les investissements, assurer la régulation industrielle et élargir l’initiative à une véritable communauté ouest-africaine des pêches durables.
— conakrylemag




