Conakry, c’est la capitale de la République de Guinée. Le pays de la bauxite, du fer, de l’or, du diamant…C’est aussi le pays du puissant Zégbéla Togba Pivi, d’Almamy Samory Touré, d’Almamy Boubacar Biro Barry, du vaillant Dinah Salifou Camara et de tant d’autres. Ces hommes pétris de talents, de témérité…, fibrés de patriotisme. Des hommes qui, on ne peut le leur ôter, avaient le sens de l’Etat et l’honneur de la patrie.
Mais qu’avons-nous fait de notre Guinée, nous les héritiers ? héritiers des terres fertiles, héritiers de nature verdoyante, des cours d’eaux au ruissellement frémissant. Qu’avons-nous fait de notre histoire, de notre géographie ?
Les lignes qui suivent tentent d’alerter qui de droit de l’état de la ville Conakry. Acerbe, l’être, je ne l’ai pas choisi, gentil, non plus. La gravité du moment me les interdit. Il ne s’agit que, bien évidemment, de la face émergente de l’iceberg à travers la presqu’île de Kaloum prolongée dans la terre ferme. Cette portion de terre ferme servant de capitale.
Oui, une capitale où jonchent les grosses cylindrées des ‘ministres-rois’ et des ‘administrateurs princes’. Mais tenez-vous bien, ils ne sont pas seuls dans les artères reliant les quartiers, flamboyants furent-ils, de Conakry.
Voudrai-je vous parler, honnêtement, je l’espère, de l’embouteillage dans la circulation piégeante, pressante et pesante de Conakry. Pas que ! Aussi des ‘ordures-rois’ qui y règnent, majestueusement, à ciel ouvert.
Les faits sont inédits, accablants, têtus et criards. Tristement marqué fut le constat, mien qu’il a été, à chaque fois, mes pieds, sur la terre de mes ancêtres.
Conakry est une petite ville dont la traversée dans une ville normale coûterait à peine trente à quarante minutes en temps de ralenti. He oui ! mais dis-je bien dans une ville normale. Conakry n’en est pas une. Le dire n’est pas grossier. De Kaloum à KM 36, donc 36 KM, comptez deux heures si, chance et audace, vous les avez pour vous y prendre à temps. Sinon, vous pouvez dormir, le gentil taxi-maître vous réveillera quand le bon Dieu le voudra.
Celui qui s’en inquiète, hélico, il peut se le faire. En tout cas, autres solutions, à en compter sur ces rois-là, ne sont pas pour demain, triste !
Ce calvaire-là, les guinéens le vivent au quotidien. Ils le subissent psychologiquement. Ils l’affrontent physiquement. Dans ce piège de désespoir déprimant, ils y sont. Ceux qui vont au travail en sont victimes. Les malades et ceux qui les accompagnent guettent la mort dans la traversée et par la traversée. Les braves femmes de Conakry, les tôt sortantes qui vont au marché en souffrent. Les jeunes élèves, les étudiants qui vont à l’école, à l’université, en souffrent aussi. Les enseignants n’en peuvent plus.
Une pléiade de policier dépourvus de moyens, parfois de volonté aussi, luttent ou font semblant de lutter. Des chauffeurs, devenus conducteurs, nombreux d’entre eux, sont les gendarmes des artères de Conakry. Si insolents qu’ils sont, si discourtois qu’on les vit, vous préférez longtemps marcher et marcher encore à leurs taxis. Taxis devenus pas autres choses que des véritables prisons mobiles à Conakry.
Ceux-là, ces derniers, ils sont aidés par des marchands-ambulants qui vous forcent à acheter ce que vous n’avaient jamais aimé, ce, sur la route, pire, sur l’autoroute. Conscient suis-je, ils auraient aimé mieux, hélas, ils n’ont que ça à faire.
Le plus révoltant est que cela est normal à Conakry. Gare à vous si vous osez les rappeler à l’ordre. Les plus gentils vous diront : « He ! on est en Guinée hein ». Les pires, votre bouche, ils l’arracheront.
La route abimée à jamais, quelques vrais-faux fainéants prennent le relai des services d’entretien routier. Ils cachent, nombreux d’entre eux du moins, derrière leur œuvre citoyenne, une mendicité ostensible. A vrai dire, les trous de la route sont leurs poches, leurs ventres. Ils vous quémandent dans un ton de commandement : « He ! He ! contribuez ». Vu l’état de l’Etat, ils sont le nouvel Etat. Ils rechignent l’être, l’être, ils tentent. Rassurez-vous les trous d’il y a cinq ans sont les nouveaux bons trous.
Conakry, ce n’est pas que de l’embouteillage. C’est aussi l’insalubrité.
Il était une fois, c’était conakirii baadaala (Conakry, au bord de la mer) comme le clamait le célèbre Sory Kandia Kouyaté. Cette chanson rappelant les heures de gloire de la ville de Conakry. Hélas ! L’histoire de Conakry est plus belle que la réalité de son présent. Conakirii baadaala est tristement devenu Conakry bad (mauvais) par les talents de nos chefs ‘uns dépendants indépendants’.
A quoi servirait l’administration incapable d’organiser la collecte et le traitement des ordures ? la salubrité publique ? « Ce n’était que des espoirs ratés ! Eux, qui auraient dû être la solution […] c’est plutôt eux-mêmes le problème à la lumière de la vérité » disait Tierno Monénembo.
Le plus frappant, déconcertant, attristant …ce n’est, certes, pas les carrefours verdoyants, c’est plutôt les collines d’ordures. Ce n’est, certes, pas l’air époustouflant de l’atlantique, c’est au contraire les odeurs étouffantes des caniveaux cassés dans lesquels giclent les eaux usées et les oies macabres à un jet de pierre du palais des rois.
Les ordures de Conakry n’ont mérité, aux yeux des rois, que d’être confiés à l’armée. Les rois ne savent pas que la gestion de la salubrité est un métier qu’aucun décret ne peut remplacer. La gestion de la salubrité, elle, c’est un travail mieux que celui qui s’exerce dans les bureaux refroidis des climatiseurs des chefs assis royalement sur la santé des citoyens. C’est un travail mieux que toutes les promesses, brillantes soient-elles.
Pourtant des belles initiatives naissent dans les quartiers. Des tous petits entrepreneurs, oubliés des rois, moisis dans les ordures, négocient avec les ménages. Hélas, dépotoirs, ils n’en trouveront guerre. Ce sera le cercle vicieux des ordures jetés là hier qui sont là aujourd’hui, demain, encore et encore.
Les rois, me lisant, me proposeront, certes, de la fermer au prétexte que mon jeune âge voudrait que je rejoigne les rangs. Les rangs du patriotisme inerte, complaisant et complice. He non et non, je ne la fermerai pas tant qu’ils ne fermeront pas les fissures des artères qui relient les jadis beaux quartiers de mes ancêtres. Fermer les fissures des artères de Kaloum à Kanfarandé. De Sinko à Timbo. De Bankon à Tountouron. Encore, de Tikolo à Fougoumba.
Oui ils me diront de me taire ! Oui je me tairai quand cessera le giclement des eaux usées dans les caniveaux de Conakry. Je me tairai quand reviendra l’air berceur de l’atlantique jadis. Oui ! je me tairai en ce moment-là !
Par Mamoudou BARRY
Chercheur à l’Université de Rouen Normandie (France)
— conakrylemag