HOMMAGE AU GRIOT ÉLECTRIQUE MORI KANTE
Mory Kante est l’héritier de la tradition des griots, les “djéli” du Mandé, empire d’Afrique de l’Ouest qui à son apogée, sous le règne de Soundiata Keïta au XIIIe siècle, s’étendait depuis la côte atlantique jusqu’à la région de Gao. Son premier enseignement musical, il le reçoit avant même sa naissance, le 29 mars 1950 à Albadaria près de Kissidougou en Guinée forestière. Sa mère Fatouma Kamissoko, communique avec lui en musique, alors qu’il est dans son ventre.
D’origine malienne, Fatouma est la fille de Djéli Mory Sanda Kamissoko dit “Sanda” (le mot, le proverbe et le verbe), chef spirituel des griots des pays de Kouranko et de Sankarãn en Guinée. C’est le vieil homme lui-même qui baptise l’enfant et lui transmet son propre nom. Dans ce nouvel album, “Alamina Badoubaden”, splendide air traditionnel enregistré live par un ensemble réunissant quelques-uns des meilleurs griots résidant en France, est un hommage du petit-fils à ce grand-père illustre.
1950-64 – L’enfant griot
L’enseignement traditionnel du petit Mory commence auprès de son grand-père jusqu’ à sa mort en 1959, date à laquelle il rejoint son père, El Hadj Djelifodé Kanté, alors chef des griots de Kissidougou, qui s’éteindra à l’âge de 109 ans. Parmi les derniers de ses trente-huit enfants, Mory, suit l’école française et apprend à jouer du balafon, l’instrument emblématique des Kanté. Dans les récits des djéli, il est dit que Soumaworo Kante, roi du Sosso, possédait un “djo” très puissant, le “Sosso Bala”, un balafon (ou plutôt un bala, balafon désignant le joueur de bala) gardé dans le secret d’une case rituelle.
La légende raconte comment il donna ce balafon à son griot avec ces mots : “Bala Fasséké Kouyaté”. Mory le chante magnifiquement dans “Exil de Soundiata”, pièce épique de plus de 25 minutes enregistrée en 1975 alors qu’il est chanteur du Rail Band de Bamako. « Tous les balafons sont accordés à ce balafon, qui existe et a toujours une place aujourd’hui, explique Mory Kante. C’est l’un des premiers instruments féeriques. Mais il est faux de dire que le balafon de Soumaworo Kante était un “fétiche”. C’est un moyen de communication entre ce que les gens peuvent voir et écouter et ce que les gens ne peuvent ni voir, ni écouter. C’est-à-dire un instrument qui permet d’établir une communication cosmique, une communication de pouvoir. »
1965-70 – Premiers voyages initiatiques
L’initiation du jeune griot commence à 15 ans. Mory est envoyé à Bamako, capitale du Mali, chez sa tante la griotte Manamba Kamissoko, mariée aux jumeaux Foucény et Lansana Diabate, l’une des chanteuses de l’Ensemble Instrumental National du Mali. Durant des années, l’adolescent entreprend à travers le Mandingue les voyages initiatiques nécessaires à la formation du griot : une succession d’épreuves difficiles, pas seulement musicales, pour parfaire son éducation…
De retour en ville, Mory a tout loisir de se défouler sur les musiques qui affluent du monde entier : chachacha et mambo de Cuba, rumba congolaise, soul music américaine, pop anglaise, yéyés français… Mory Kante s’est entiché de la guitare et se débrouille fort bien comme balafoniste, guitariste et chanteur des Apollos, qui animent les fêtes de mariage. La référence à James Brown, dont il connaît le fameux “Live at the Apollo” marque déjà l’option funky que Mory ne cessera de creuser, notamment au sein des Apollos, groupes qui se produisent lors des fêtes qui animent les villages.
1971-77 – Voyages avec le Rail Band
Repéré par Tidiane Koné, saxophoniste et chef d’orchestre du Rail Band, ensemble fondé en 1969 pour animer le très prisé Buffet de la Gare de Bamako, Mory l’intègre comme guitariste et balafoniste en 1971. Son chanteur d’alors s’appelle Salif Keïta. En 1973 quand celui-ci rejoint le groupe rival des Ambassadeurs, Mory le remplace au micro. Il aborde les styles les plus divers, s’illustrant notamment dans des morceaux de pur funk à la James Brown, comme “Moko Jolo” (enregistré en 1974 avec le Rail Band et repris en 1993 sur son album Nongo Village) ou sur un afrobeat à la sauce mandingue, comme “Dugu Kamalemba” (1974), dédié à Fela.
À Bamako, Mory Kante découvre la cora, grande harpe-luth originaire de la région du Gabu qu’arrose le fleuve Gambie. Il apprivoise l’instrument en autodidacte et ses efforts sont récompensés le jour de 1974 où le grand maître malien Batrou Sékou Kouyaté lui offre cette cora qui l’accompagne sur toutes les scènes du monde. À partir de 1975, précédé par sa réputation, le Rail Band commence à tourner dans toute l’Afrique de l’Ouest. En 1976, Mory reçoit le trophée de la “Voix d’Or” au Nigeria. L’année suivante, il décide de compléter sa formation de griot en allant voir les maîtres de la tradition dans les grands sites historiques du Mandingue.
1978-83 – Le voyage d’Abidjan
Après avoir quitté le Rail Band, Mory Kanté s’installe à Abidjan en 1978. C’est là qu’il développe ce qui va constituer la grande originalité de sa musique, l’une des clés de sa célébrité. « J’ai opté pour les recherches sur le son des instruments traditionnels africains : le balafon, le violon, le bolon et surtout la cora, dit-il. Alors que tous les orchestres s’équipaient d’instruments modernes (guitares, claviers…), je pensais qu’il était dommage de laisser cette richesse de côté. »
Entouré d’une petite formation traditionnelle (balafon, djembé, bolon à cinq cordes), Mory Kanté (cora et chant) assure l’animation du Climbier, alors célèbre club d’Abidjan où se viennent se divertir des vedettes internationales comme Barry White et Johnny Pacheco. Ses arrangements acoustiques de succès internationaux étonnent et séduisent Gérard Chess, directeur du label américain Ebony Records, qui décide de produire “Courougnégné”, premier disque de Mory Kante, en 1981.
La renommée de l’artiste commence à résonner dans toute l’Afrique. Elle s’amplifie grâce au ballet mandingue réunissant 75 artistes traditionnels et modernes qu’il dirige sur la scène du Centre culturel français d’Abidjan en 1982. La même année, il part pour Paris ou il enregistre « N’Diarabi ». Une version réduite de cette création forme l’un des volets du fabuleux spectacle que Jacques Higelin présente à Bercy à l’automne 1985.
1984-89 – Le voyage à Paris
Mory Kanté arrive en France en 1984. Dans la ville lumière, trouver sa place au soleil n’est pas simple, surtout sans carte de séjour… Sur son album “Mory Kanté à Paris”, enregistré “façon façon”, figure une version quasi traditionnelle de “Yéké Yéké”. En l’espace de deux ans, alors qu’il est reparti quasiment de zéro, Mory Kante s’impose par la seule force de son talent. Les concerts qu’il donne avec sa cora électrifiée font l’unanimité de la critique.
En 1985, il participe à la musique du film “Black mic mac”. Il est aussi parmi les 30 artistes africains de Paris qui contribuent à l’aventure “Tam Tam pour l’Ethiopie” orchestrée par Manu Dibango. C’est à cette occasion qu’il rencontre Philippe Constantin, alors l’un des meilleurs découvreurs de talents de la jeune scène française. Convaincu du potentiel de Mory Kante, Philippe lui propose un contrat de disque en 1985, lorsque lui sont confiées les rênes des productions Barclay.
L’album “10 cola nuts”, coproduit par le pianiste américain David Sancious, est accueilli par une critique élogieuse et nominé pour les Victoires de la musique 1986. Le rythme des tournées s’accentue : Europe, Afrique du Nord, Mali, Sénégal, USA… Non seulement Mory Kanté à su trouver un équilibre idéal dans le métissage, mais le public occidental est prêt à recevoir cette musique qui lui ouvre de nouveaux horizons.
Le fulgurant succès de “Yéké Yéké”, réenregistré dans une version plus concise, rapide, électrique et dansante pour l’album “Akwaba Beach” (1987), prend tout le monde par surprise. Les ventes s’envolent (plusieurs millions de singles et d’albums jusqu’à aujourd’hui), les classements dans les hit-parades se multiplient tout autour de la terre. Quand en juillet 1988 “Yéké Yéké” atteint la première: donner à la musique africaine la place qui lui revient de droit. place du classement paneuropéen du Billboard américain, le griot de Kissidougou a réussi son défi La même année il est recompensé par la Victoire de la Musique du meilleur album francophone.
1990-95 – Voyages planétaires et retour aux sources
Le 14 juillet 1990, sur une grande scène au cœur de Central Park devant des dizaines de milliers de New-yorkais, Mory Kanté, l’ancien sans papiers, représente la France aux côtés de Khaled. Et quelques mois plus tard, lors du Gala de la francophonie, il a le bonheur de fouler les planches du mythique Apollo Théatre de Harlem. Paru cette même année, l’album “Touma” (le Moment) est produit par le même Nick Patrick qui a réalisé le précédent.
L’année suivante, pour la cérémonie inaugurale de la Grande Arche de La Défense, Mory Kante est invité à présenter sa Symphonie de Guinée, interprétée par un ensemble de 130 griots musiciens, chanteuses et chanteurs traditionnels. Cet événement préfigure le projet dont Mory, âgé de 41 ans, rêve en secret : élaborer en Afrique un grand centre de promotion de la culture mandingue. Il a déjà le nom : Nongo Village.
Dans un premier temps, Mory fait construire son studio sur un terrain qu’il a acquis aux environ de Conakry. Il y enregistre les bases de son dernier album pour Barclay, “Nongo Village”, qui sort fin 1993. L’année suivante se succèdent ses tournées en Europe et au Canada. Il est également couronné par le “Griot d’Or” à Paris et par le Prix Kilimandjaro d’Africa n°1. Mais ce qui préoccupe surtout Mory Kanté, c’est la mise en œuvre de son projet, qui ne manque pas d’ambition dans le contexte économique de la Guinée.
1996-2001 – L’endurance du voyageur
Mory reprend son indépendance artistique et son autonomie de producteur pour assurer la réalisation de son album “Tatebola”, paru en 1997. La chanson qui donne son titre à l’album est choisie par CFI (Canal France International) comme générique du Mundial 98. Si les tournées se poursuivent dans le monde, notamment avec Womad, le projet de Cité commence à prendre forme à Conakry. « Je veux contribuer à industrialiser la musique et la culture africaine à travers ce projet, explique le chanteur. Il comprendra une grande école de musique, où seront enseignés les instruments traditionnels et où seront dispensés des stages de formation aux métiers du spectacle ».
En 2000, Leonardo di Caprio sollicite Mory Kanté pour la B.O. de son film “The Beach” qui contient un remix de “Yéké Yéké”. Au mois de décembre, il est convié au Vatican pour animer la fête du jubilé du pape, pour representer la musiaue africaine. Aussitôt auprès cette intéressante expérience pour un musulman, Mory Kanté entame l’enregistrement de son nouvel album, “Tamala” (Le Voyageur), achevé début avril 2001.
Le 16 octobre 2001, lors de la Journée mondiale de l’Alimentation, Mory Kanté a été nommé ambassadeur par la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) pour l’aider dans sa mission de lutte contre la faim afin de réduire la pauvreté.
2002 et après
En 2002, Mory Kanté reprend la route pour promouvoir son nouvel album Tamala (Le Voyageur). La tournée comprend 48 dates de concerts, dans 15 pays d’Europe. Il s’est aussi produit en Afrique du Sud (à Robin Island et deux fois à Johannesbourg), au Maroc (Rabat et Casablanca). Parmi les moments forts de sa tournée, on compte la première partie de la Fête de la musique à Nice, en France, son duo « Nin Kadi » avec Shola Ama, son concert pour le gala de l’ONU à Genève et sa participation au concert Telefood, organisé par la FAO à Johannesbourg.
L’autre point culminant de 2002 a été sa contribution comme intervenant pour une émission de télé spéciale afin de faire connaître la mission de la FAO : combattre la faim pour réduire la pauvreté. L’émission a été diffusée dans 188 pays lors de la Journée mondiale de l’Alimentation 2002.
La même année, Mory Kanté a été sollicité par la fondation Dunya pour créer un nouveau spectacle acoustique. C’était une première pour lui et le succès a été tel que Mory Kanté a continué le show en 2003.
2004 voit l’achèvement d’un nouvel album acoustique, dont la sortie sur Riverboat Records/World Music Network est prévue pour cet automne.Un album éblouissant, profond et abouti, moderne et à la fois très enraciné dans la tradition des griots. Sabou est le retour très attendu du griot guinéen.
Cet artiste planétaire a répondu à l’appel de Dieu le 22 mai 2021, il y a exactement une année. Paix à son âme !
Source: Universal Music
— conakrylemag