Justice et Droit

Guinée : l’interdiction par voie décrétale d’importer des véhicules d’occasion est illégale

Quand le président de la République viole la Constitution en moins d’un mois de sa prestation de serment.

La question relative au respect de la loi est de loin l’une des plus grandes difficultés de la consolidation des acquis de la démocratie en Guinée. Les Guinéens en général, singulièrement les hauts fonctionnaires de la République, semblent avoir du mal à saisir le sens du « concept d’État de droit ».

 

Le nouveau décret du président de la République interdisant l’importation de véhicules d’occasion vieux de plus de 8 ans, illustre parfaitement cet état d’esprit. C’est à croire que, malgré la pléthore de conseillers à la présidence, il n’existe aucun juriste pour informer le président sur les limites constitutionnelles de ses attributions.

investiture d'Alpha Condé
investiture d’Alpha Condé

Abstraction faite de la teneur du décret dont il est question, la question essentielle consiste à savoir si, au regard de la Constitution, le président de la République a le pouvoir d’interdire toute importation de véhicules d’occasion de plus 8 ans d’âge.

 

À cette interrogation, il faut répondre d’emblée par la négative, sauf s’il avait reçu une habilitation explicite du législateur de prendre, par ordonnance, une décision qui relève normalement de l’Assemblée nationale. Dès lors qu’aucune loi n’a été adoptée dans ce sens, il faut croire que le président de la République vient de violer le « principe de la séparation des pouvoirs » un mois après sa prestation de serment : « je jure de respecter et de faire respecter la loi ».

 

Le décret interdisant toute importation de véhicules d’occasion de plus 8 ans est illégal aussi bien dans sa forme et son contenu, que du point de vue de la portée de ses implications.

 

I) — Du point de vue de la forme, le décret est illégal pour incompétence

 

Le vice « d’incompétence » en droit concerne toute décision administrative prise par une autorité ou une personne autre que celle qui est légalement habilitée à la prendre.

 

La question ici n’est donc pas de savoir s’il s’agit d’une bonne ou d’une mauvaise décision dans son principe ; mais plutôt, si ce Décret constitue ou non une usurpation de pouvoir. À cette interrogation, la réponse semble être manifestement positive.

 

Il résulte de l’article 72 (al. 2) de la Constitution du 7 mai 2010 que « […] La loi fixe les règles concernant : les garanties des libertés, des droits fondamentaux, les conditions dans lesquelles ils s’exercent et les limitations qui peuvent y être portées […] ». Or, il se trouve justement que l’importation de véhicules d’occasion relève de l’exercice d’une liberté publique ; pour ceux qui en font commerce, « de la liberté du commerce et d’industrie », pour le citoyen qui désire simplement utiliser la voiture importée, « de la liberté d’acheter » et « du droit d’utiliser un bien », conformément aux dispositions de l’Art. 13 de la Constitution.

 

Ainsi, l’interdiction par voie décrétale d’importer des véhicules d’occasion est illégale, dès lors que le président intervient, sans habilitation (Art. 82 Const.), dans un domaine, en principe, réservé au législateur. Si, aux termes de l’art. 46, le président détient un pouvoir réglementaire qu’il exerce par décret, l’art. 74 dispose clairement que « seules les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi » ont un caractère réglementaire.

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Le président n’étant pas un ange, a fortiori un Dieu, il se doit, plus que tout autre Guinéen, de respecter la loi, singulièrement la Constitution qu’il a prêté serment de « respecter et de faire respecter ».

 

II) — Illégalité du décret du point de vue de son contenu

 

« Les faiseurs de rois » soutiendront, peut-être, qu’il s’agit là d’une mesure de police eu égard aux motifs invoqués dans le Décret « protection de l’environnement », « nécessité de renouveler le parc automobile ». Pour anticiper de tels arguments qui ne manqueront pas d’être soulevés, on répondrais simplement que, si la « protection de l’environnement » présente un caractère de mesure de police, ce décret n’en est pas moins illégal pour autant.

 

Abstraction faite de l’illégalité inhérente au vice « d’incompétence », les autorités réglementaires, au premier chef desquels le président de République, ne peuvent pas édicter des mesures d’interdiction à « caractère général et absolu ». Autrement dit, une interdiction comme celle prohibant, indifféremment et de manière absolue, toute importation de véhicule de plus de 8 ans est illégale, même si elle résulte d’un acte aussi éminent qu’un « décret présidentiel ».

 

Dans un État de droit, il est acquis que « la liberté est le principe » et « la restriction de police, l’exception ». De sorte que, même si le président était intervenu dans son domaine d’attribution, en matière de police administrative, son pouvoir est « lié » et non « discrétionnaire ». Plus clairement, lorsque sa décision (interdiction) s’applique à une liberté publique, notamment celle de se livrer à une activité commerciale, son pouvoir est limité par deux principes fondamentaux : « la proportionnalité » et « l’opportunité ».

 

Ces deux principes conditionnent la légalité de toute décision administrative interdisant l’exercice d’une liberté reconnue par les lois de la Républiques, la Constitution au premier chef.

 

A)- L’interdiction d’importer des véhicules d’occasion de plus 8 ans est-elle proportionnée aux objectifs évoqués dans le décret ?

 

L’on ne le pense pas. En ce qui concerne la protection de l’environnement, il aurait fallu interdire carrément toute importation de véhicule consommant des combustibles fossiles (diesel, essence). À notre connaissance, il n’existe pas à ce jour un seul qui ne produise de pollution ; pas même ceux qui sortent directement des usines occidentales. Les poursuites contre Volkswagen (aux USA) et bientôt Renault (en France) constituent des exemples très instructifs.

 

Si le président souhaite véritablement protéger l’environnement, il lui suffit de faire adopter une loi pour limiter le taux d’émission de dioxyde de carbone par les véhicules à moteur ou, mieux encore, mettre en place un système de « contrôle un technique » fiable, transparent et libre de toute corruption.

 

Pour ce qui est des véhicules d’occasion, Le Président − lui qui a fait la moitié de sa vie en Europe − n’ignore pas que, même dans les pays d’export (Bruxelles, France, Allemagne), il existe des véhicules de plus 40 ans qui sont encore en circulation. Alors, pourquoi il ne peut pas y en avoir de plus de 8 ans en Guinée ? Pour protéger les Usines guinéennes de production de voitures ?

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B)- L’interdiction d’importer des véhicules d’occasions de plus 8 ans est-elle opportune.

 

L’on ne le pense pas non plus. Personne n’ignore les difficultés que nos citoyens rencontrent chaque matin pour aller au travail. L’absence de système de transport en commun fiable fait de la circulation à Conakry un vrai parcours de combattant. La médiocrité de la desserte par les navettes de la SOTRAGUI n’est un secret pour personne.

 

En ce qui concerne la question du « renouvellement du parc automobile » national, la solution la plus intelligente n’est pas celle d’interdire toute importation de véhicule, mais de permettre aux citoyens ordinaires d’avoir accès à des prêts bancaires à un taux raisonnable.

 

Du reste, Monsieur le président, l’État de droit ne consiste pas uniquement en l’adoption de normes destinées à régir la vie des citoyens. Il consiste aussi et surtout au respect des lois déjà adoptées, singulièrement les dispositions de la Constitution. Mieux encore, le respect de la loi par les autorités administratives précède et anticipe leur pouvoir de faire respecter, « au besoin par la force », la législation existante.

 

Quant à la démarche, les pays qui ont choisi d’adopter des restrictions semblables l’ont fait par le biais de lois et non de décrets. Aussi, il ont accompagné cette interdiction de mesures incitatives permettant aux citoyens d’acheter des véhicules neufs. (Au Sénégal avec les BUS TATA) ; (au Maroc, un accord avec la Compagnie Renault qui y a installé une usine de montage de voitures DACIA, etc.).

 

Quant au résultat, aucune étude sérieuse n’a prouvé un lien de causalité direct entre le renouvellement d’un parc automobile national et l’interdiction d’importer des véhicules de plus de 5 ou 8 ans. Bien au contraire, cette démarche pousse davantage les citoyens à maintenir leurs véhicules en vie par tous les moyens.

 

Par ailleurs, la valeur ARGUS d’un véhicule de moins de 8 est de l’ordre de 6000 euros sans le frais de transport et de dédouanement. Le président a-t-il diminué les droits de douane pour les véhicules de moins de 8 ans ?

 

Enfin, il faudrait peut-être définir ce que le chef de l’État entend par « véhicule d’occasion ». L’interprétation des dispositions de son décret n’en serait que plus aisée. En effet, dans le langage courant, un véhicule est « ce qui sert à transmettre, à transporter ». Ce terme concerne donc aussi bien un vélo, une bicyclette, une voiture, un camion, une moto, un navire, qu’un avion (qu’ils viennent de Bruxelles ou de Bamako).

 

Aux personnes concernées par ce décret, il serait louable de se rapprocher d’un avocat pour saisir la Cour suprême (recours pour excès de pouvoir). Si les juges et les avocats ont la mesure de leur office et s’y connaissent en contentieux administratif, alors ils n’auront aucune difficulté à faire annuler ce décret.

 

Une analyse d’Alpha Yaya Dramé, enseignant chercheur à la faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales-Université de Lille2

Source : guineenews.org

PAR CONAKRYLEMAG.COM

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