
Amara Camara : le général en costume-cravate d’une république verrouillée
Silencieux, feutré, stratège. Voici les trois adjectifs que répètent en boucle les thuriféraires du général Amara Camara, ministre secrétaire général à la présidence de la transition. Une plume bien inspirée, celle de Mognouma, nous le présente comme une « figure qui prend de l’envergure ». Il fallait oser. Et surtout oublier. Oublier que ce journaliste, naguère victime de la censure brutale du CNRD, voit aujourd’hui dans l’un de ses bourreaux un modèle de sobriété politique. Mognouma qui, hier encore, pleurait la fermeture de son média, trouve aujourd’hui l’inspiration dans le silence complice d’un homme de pouvoir. On appelle ça le syndrome du converti : plus royaliste que le roi, plus gênéraliste que le général.
Mais l’épaisseur politique d’un homme ne se mesure pas à la sobriété de ses discours ou à la qualité de ses chemises repassées. Encore moins au silence complice qu’il impose autour de lui.
Car derrière le masque du haut fonctionnaire discret, c’est un rouage central du système CNRD qui se dessine. Un homme de l’ombre, certes, mais un homme de l’ordre établi, celui d’un pouvoir militaire qui étouffe la liberté, instrumentalise la justice et criminalise l’opposition. Celui d’un régime dont le seul véritable projet semble être sa propre prolongation.
L’éminence grise du pouvoir vert-kaki
Il faut observer comment Amara Camara agit. Jamais en première ligne lors des grandes annonces. Rarement exposé lors des crises. Mais toujours présent, toujours positionné. Il supervise, orchestre, ajuste. Il parle peu, mais il signe. Il approuve. Il couvre. Et souvent, il anticipe.
Dans une autre époque, on l’aurait appelé le « secrétaire permanent du système ». Aujourd’hui, il est la voix douce qui rend acceptable la brutalité de la transition. Celui qui enveloppe d’un vernis républicain les décisions autoritaires. Un communicant du silence, à la fois cravate et kalachnikov.
Quel bâtisseur ? Quelle vision ?
La presse officielle tente de le hisser au rang de visionnaire d’État. Mais où est donc sa trace politique ? Quelle idée nouvelle a-t-il défendue ? Quel risque a-t-il pris ? Quel débat a-t-il suscité ? Aucun. Rien. Le général Camara ne dérange personne parce qu’il ne bouleverse rien. Sa grandeur tient surtout à son art de ne pas faire de vagues.
Et pendant ce temps-là ?
Pendant qu’il peaufine son image d’homme d’appareil appliqué, la Guinée continue de sombrer dans l’impunité institutionnalisée. Les opposants croupissent en prison, les syndicalistes sont muselés, les journalistes poursuivis, les passeports bloqués. Et ceux qui posent des questions se retrouvent blacklistés, menacés, ou écrasés par l’appareil sécuritaire. Tout cela sous l’œil discret du général en col blanc.
Où est sa voix quand les partis politiques sont interdits de siège ? Quand les militants sont tués ? Quand la transition vire à la confiscation de pouvoir ? Nulle part. Amara Camara reste en poste, docile et implacable.
Le vrai visage du CNRD ?
Certains disent qu’il prépare l’après-Doumbouya. Qu’il avance ses pions. Peut-être. Mais que construit-on quand on cautionne le saccage des libertés ? Qu’espère-t-on gagner quand on sert un régime qui ne produit que de la peur, du flou, et de la propagande ?
Le vrai pouvoir ne se mesure pas à la distance qu’on garde du peuple, mais à la proximité avec ses souffrances. Et de cela, le général Amara Camara n’en parle jamais.
L’Histoire n’oubliera pas les silencieux
On retiendra peut-être que ce fut un homme de dossiers, un bon gestionnaire, un loyal serviteur. Mais on retiendra aussi qu’il fut l’un des architectes d’un pouvoir autoritaire, qu’il a contribué à enfermer la Guinée dans une parenthèse militaire, et qu’il a choisi, par confort ou par calcul, de servir plutôt que de dénoncer.
À trop vouloir être le technocrate des putschistes, il pourrait bien devenir leur notaire politique. Et là encore, sans faire de bruit. Mais l’Histoire, elle, sait faire du vacarme avec les silences les plus pesants.
— conakrylemag




