Je suis incroyablement au sérieux, demain, dès l’aube, à l’heure où le premier coq chantera, je partirai. J’irai loin, très loin des bruits des matchs de football.
Je vois déjà venir l’enfoiré de barman de la rue d’en face de chez moi. Depuis quelques jours, il s’affaire à installer un écran géant dans son maquis. Quand je sais que le lot d’idiots qui viendront assister aux matchs de qualification de la CAN ne manqueront de vociférer en plus de la musique pourrie qui leur sera servie, je n’ai plus d’autre choix que de m’en aller. Si je veux vivre un minimum de tranquillité durant cette période, il faut que j’aille vivre ailleurs.
Je voudrais bien partir loin là-bas (tiens ça me rappelle le ‘’ là-bas de Jean-Jacques Goldman’’), dans un village où il n’y a pas moyen d’allumer la moindre télé, mais encore faut-il que mes hôtes soient en mesure de m’accueillir.
Avec cette période de soudure où les grains de riz sont comptés, ça serait un mauvais calcul de devenir une charge supplémentaire insupportable. Surtout que cette année, je n’ai même pas réussi à envoyer le moindre sac de riz aux miens. Ils m’en ont certainement voulu pour un temps, mais ils ont fini par comprendre que la galère de la ville peut devenir aussi plus dure que celle de la campagne. C’est tant mieux.
D’ailleurs, je ne sais même pas comment faire pour joindre les deux bouts. A force de découverts et d’avances sur salaire, il ne me reste plus rien en fin de mois. Pour retrouver un semblant d’équilibre budgétaire, je dois attendre la réponse à mon prêt scolaire. C’est grâce à cette manne bancaire empoisonnée que j’ai pu aider le fils de ma vieille tante à payer sa scolarité l’année dernière.
Mais le salopard est carrément un partisan du moindre effort. Il passe le bac pour la troisième fois cette année et rien ne prouve qu’il s’en sorte. Au lieu d’étudier ses leçons, je suis sûr qu’il sera plutôt absorbé dès demain par la télévision.
Il va passer tout son temps à regarder des matchs, à crier et à faire des commentaires stupides. Son échec est encore assuré. Ce qui me fait mal dans tout ça, c’est que je serai obligé une fois encore de casquer mes pauvres sous pour remettre ce fainéant à l’école après la grève de Soumah.