Non, le monde n’est pas parfait et Canal ne jubile pas. Il y a quelques jours, je suis allé voir un ministre. Un condisciple à moi, un « promo », comme on dit. Cela faisait des semaines que je l’appelais pour prendre ce rendez-vous et à chaque fois, il prétextait un emploi du temps surchargé pour ne pas me rencontrer.
Mais cette fois-ci, je l’ai eu. J’ai fait le pied de grue devant ses bureaux et à la descente, il a bien été obligé de me voir et a consenti me recevoir. Alors, nous sommes remontés.
Une fois installés, il m’a demandé ce que lui valait l’honneur de ma visite. J’ai hésité puis ai fini par lui dire :
« Vois-tu, je suis avec vous maintenant et je promets de me donner entièrement pour le triomphe de nos nouveaux idéaux communs. J’ai même fait un très long écrit pour annoncer mon arrivée ».
Il eut un petit mouvement des sourcils comme pour dire qu’il ignorait tout de ce document pamphlétaire dans lequel j’ai pris le soin de dénoncer le manque de démocratie dans d’autres partis, la gestion mafieuse des ressources, le clanisme et bien d’autres choses pas claires.
Comment lui, un ministre, peut-il n’avoir pas eu vent d’un tel écrit publié partout ?
En quittant mon parti, j’ai emmené avec moi une horde de militants, une centaine. A quoi donc servent les services de renseignements si les plus hautes autorités de ce pays sont gardées dans l’ignorance d’événements majeurs pareils ?
Cependant, j’ai gardé ces réflexions pour moi et, après m’être raclé la gorge, j’ai poursuivi : « Je suis venu te voir. Depuis que tu as été nommé ministre, je fais l’objet de sollicitations diverses de proches qui savent que nous avons fait les bancs ensemble et qui veulent des appuis soit pour monter leur petite affaire ou pour organiser les baptêmes de leurs enfants. Les proches ! Pour un rien, ils vous dérangent. Je ne manque jamais l’occasion de leur faire savoir qu’un ministre, ce n’est pas une banque. Presque tous les problèmes que finissent par avoir les gens haut placés viennent de leurs proches. Qui confondent tout.
Cela, je ne te l’apprends pas, lui ai-je dit. En tout cas, sois en sûr, tant que je vivrai, je te protégerai de ces rapaces qui ne croient en rien si ce n’est à leur seul intérêt.
En ce qui me concerne à titre purement personnel, je viens de monter une entreprise de commerce général Import-Export et je te saurais gré de songer à moi pour les appels d’offres émanant de ton ministère.
Tu sais bien que mes affaires ne marchent plus depuis un an. Même si nous nous sommes combattus dans un passé récent pour des raisons que je ne comprends même pas, je sais que tu sauras privilégier les liens de famille. C’est plus sacré. Après tout, c’est notre tour de manger. Et nul ne trouverait à redire que tu me fasses profiter de ta position. »
‘’Mossieur’’ le ministre s’est alors lancé dans une tirade sans fin. Une litanie de stupidités et d’incongruités. Il me parla de temps nouveaux, de refondation, de charte, d’équité, de directives, de passe-droits à proscrire, de fonctionnaires qui ne devraient pas avoir d’entreprises privées, de martyrs, de manifs de FNDC, de CRIEF…
L’âne ! Il oublie que ce sont justement ces manifs de FNDC qui m’ont ruiné. Moi qui changeais de voiture comme on change de chemise. Quel type de voiture, n’ai-je pas roulé dans Conakry ?
Si je viens vers lui, c’est qu’il m’est de plus en plus difficile de maintenir mon rythme de vie d’antan. Est-ce difficile à comprendre ça ? Eh bien ! Ce ministre ne semblait pas comprendre. Problème de niveau. Bardé de diplômes mais cancre dans le fond !
Il est vrai qu’une fois, je l’avais chassé de chez moi quand il était passé me présenter ses condoléances pour le décès d’une vague ante.
Je lui avais alors dit que tant qu’il ne quitterait pas son parti, il n’y avait aucune raison qu’il me fréquentât. Il avait rebroussé chemin. Avec un air qui laissait voir que je lui faisais pitié.
« C’est plutôt toi qui me fais pitié, bougre d’andouille ! Va présenter tes condoléances à tes sottises de convictions. Je n’ai pas de temps pour écouter des balivernes ». C’est ce que je lui ai dit alors qu’il repartait, tête basse, la queue entre les jambes. Un spectacle qui m’avait d’ailleurs fort bien fait rigoler le jour-là.
Mais tout cela, c’est vieux maintenant et, en tant qu’intellectuel, il devrait savoir passer l’éponge sur certaines futilités.
Que non ! Il avait même eu le culot de me dire que ce qui avait court avant devait prendre fin. Et qu’il leur fallait mettre en œuvre la rupture prônée dans la refondation.
Rupture ! Rupture ! Au diable, la rupture !
Était-ce là une réponse à donner à un ‘’promo’’ ? Comment ai-je pu avoir connu pareille ordure ? Nous qui nous tirions les zizis quand, enfants, nous jouions sur les terrains vagues du village ! Voilà sa réponse à ma petite requête ! Une réponse bête. Une réponse de bête. De cancrelat. De scélérat. De… de…
On ne me croyait pas quand je disais que mettre les jeunes à certains postes de grande responsabilité, était une erreur monumentale.
C’est à ce bachi-bouzouk que je pensais quand je lançais cet avertissement. Je le savais trop con. Il venait d’en faire la preuve.
Non, il ne s’agit pas de jalousie. Loin s’en faut. Les faits, rien que les faits. Il n’a aucun sens de la famille, celui-là ! Ni de l’amitié. Rien de tout cela. Un vrai zéro ! Qui prend tout à la lettre. Je n’ai pas leurs diplômes mais je vous fais savoir que je suis plus intelligent que tous ces hurluberlus.
En silence je l’écoutais me faire sa leçon de morale, de justice sociale, de mérite… de foutaises.
Arrrrgh ! Je manquais d’étouffer. Du fond de mon âme, je le haïssais. Lui et leur gouvernement. Je les haïssais.
A la fin de sa leçon de … choses, il m’a dit qu’il devait rentrer parce qu’il était au bureau depuis 6 heures du matin et que les longues heures de travail, depuis qu’il était à ce poste, l’épuisaient.
Avait-il vraiment besoin de mentir aussi ? Tout le monde sait qu’un ministre, ça ne fout rien. Il y a toujours des gens pour faire son boulot et lui ne se réveillait que pour apposer sa signature, sans rien lire, au bas des documents qu’on lui présentait.
Oui, ils dorment tous dans leurs bureaux, ce sont tous des endormis. Et attendent les affaires juteuses et que leurs salaires mirobolants tombent. Impossible qu’il en soit autrement
Il se leva comme pour me signifier que l’entretien était terminé. Je l’imitai. Il fouilla d’abord les poches de son abacost, puis de son pantalon et en sortit un billet de 20.000 GNF qu’il me tendit.
« Tiens ! J’aurais voulu t’en donner plus mais vraiment les temps sont durs pour nous aussi. » La rage qui sourdait en moi fit que le billet, retomba par terre. Le ministre le reprit, l’essuya et me le retendit. Puis, Il me raccompagna jusqu’au parking.
En route pour chez moi, j’ai passé le temps à le maudire. Je lui souhaitais tous les malheurs du monde.
En allant à son bureau, je m’étais dit que le minimum qu’il pouvait me donner, moi son vieil ami d’enfance, c’était 1.000.000 GNF. Il lui aurait suffi de tirer une telle p’tite somme de sa caisse noire cachée sous son bureau.
Il ne va pas me dire qu’il n’en a pas, de caisse noire. Tout le monde sait que tous les ministres en ont, à l’abri des regards indiscrets.
20.000 FG… Wallaye ! Ehhhh !
Il faut un changement des mentalités. En profondeur !
20.000 FG pour un pote de longue date. Tout un ministre ! Faut vraiment le faire !
Ce qui s’est passé dans le bureau de ce ministre me laisse penser que je me suis, une fois encore, fait avoir. Je m’en sortirai. Je vous le jure. Je m’en sortirai Et alors, je n’aurai qu’une seule idéologie : La HAINE !
Voilà, docteur ! Vous savez tout maintenant.
A présent, et pour l’amour du ciel, ôtez-moi ces chaines qui entravent mes mouvements et surtout, … arrêtez de me faire toutes ces injections.
Conakry, le 25 septembre 2022
Abou Maco
— conakrylemag